12 traditionnelle un aspect statique, partant conservateur : celle-ci rejetait le mouvement au nom du dogme; celle-là, au nom de l'« équilibre de groupe », veut exprimer l'adaptation parfaite de l'homme à sa fonction sociale. Le groupe étant la source du bonheur commun, tout mécontentement - sans parler des oppositions - est le signe d'un état névrosique purement subjectif. Une thérapeutique individuelle se substitue ainsi à la réforme sociale. L'ancienne morale était celle des patrons plus ou moins marqués par l'esprit d'aventure et pratiquant le vae victis, la nouvelle celle d'administrateurs hostiles à la fois au despotisme patronal et aux grèves ouvrières. Pour freiner le premier et éviter les secondes, il faut «démocratiser » les relations humaines et «intégrer » harmonieusement le personnel. L'homme isolé est a priori un ennemi, si ce n'est un fou ; par sa seule existence il est générateur de tensions préjudiciables à la bonne . santé du corps social. Ainsi la morale individualiste est-elle devenue collectiviste pour I'organization man... Le groupe, doué de toutes les vertus, apparaît comme une totalité sacrée, niant tout intérêt, toute valeur, à ce qui se crée en dehors d'elle. Caractères de l'homme « organisé » CET HOMME «organisé », Whyte le suit depuis le collège ou l'université jusqu'aux postes de direction des grandes sociétés. La différence des générations est plus importante que celle des situations sociales. La vieille génération, au sommet du business, n'a été qu'effleurée par la morale nouvelle qui inspire les moins de quarante ans. Le comportement des hommes mûrs devra subir de plus en plus l'influence des jeunes. C'est à l'université que se forment les générations de futurs bureaucrates. Les étudiants sont, avant tout, profondément conservateurs, sans convictions idéologiques ou intellectuelles et d'esprit peu curieux : «Ce qui distingue les paisibles jeunes gens d'aujourd'hui des jeunes gens nerveux de ces cent dernières années, c'est que pour une fois la jeune génération n'est pas en révolte contre quoi que ce soit », écrit un étudiant dans .une revue d'Oxford (p. 91). Leur ardeur est tournée entièrement vers les techniques, et ils ne doutent pas que tous les problèmes humains, la notion du bonheur elle-même, ne puissent se réduire à des solutions techniques. Les fils d'ouvriers aspirent à devenir des patrons, petits ou moyens - symbole de l'indépendance économique et d'une existence échappant à la monotonie quotidienne. Au contraire, l'étudiant de la classe moyenne, préférant la sécurité aux gains aléatoires, est attiré par l'organisation des grandes entreprises ; son idéal est, à l'échelle du continent américain, ce qu'en France nous appelons une vie petite-bourgeoise, garantie par une retraite dont il se préoccupe avant même Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL d'entrer dans les affaires. Aux emplois dans la fabrication, les services commerciaux, il préférera l'administration, particulièrement les services du personnel avec l' human engineering qu'il tient pour la voie d'accès aux postes supérieurs, ceux où l'on «fabrique du bonheur». Loin de freiner ces tendances, l'enseignement universitaire y pousse au contraire de toutes ses forces. La culture générale et la recherche théorique ou scientifique désintéressée y sont défavorisées, au profit des techniques spécialisées d'un rendement immédiat. La forme de l' enseignement l'emporte sur le contenu, elle joue son rôle dans le conditionnement du futur organization man. Malgré certains cris d'alarme, l'opinion moyenne reste .opposée à un enseignement de culture générale qu'elle dénonce, on ne sait pourquoi, comme «antidémocratique». Nombreux sont les présidents de grandes sociétés à réclamer cette culture générale qui fait tant défaut à leurs subordonnés. Mais, sauf exceptions notables, ces managers font dans le Léviathan bureaucratique figure d'isolés, aux pouvoirs contestés. Là, deux générations se mêlent, non sans frictions. L'ancienne fut élevée dans l'esprit des hiérarchies traditionnelles, héritées comme partout ailleurs des vieilles normes militaires ; la nouvelle veut ignorer les rapports de subordination et préfère agir sur· les inférieurs plutôt que les commander. Elle intervient systématiquement en vue de l'avancement d'un de ses membres, substituant le jugement des pairs à celui des supérieurs. La jeune génération s'est constituée à l'intérieur des administrations en groupes solidaires où se façonne un individu de type nouveau, sans idées, sans initiatives en dehors du groupe auquel il devra en général son avancement. En revanche, il se doit de ne pas trop travailler, ni de trop réussir, ni d'avoir trop de talent. Ce nivellement obligatoire lui assure la sécurité et satisfait cet intense besoin de communication, cultivé en lui depuis la première enfance. A la source de ces transformations internes du monde administratif, on trouve naturellement l'énorme croissance des forces productives, la pénurie· relative de techniciens et, sur le plan national, la consolidation d'une classe moyenne qui imprime toujours davantage sa marque à la société américaine. Ainsi se crée un type d'homme détendu, aimant «la bonne vie », la souhaitant pour les autres, ne prenant des initiatives qu'après en avoir référé au collège de travail - un homme dont la sociabilité l'emporte sur l'originalité. , Contradictions des « managers » L'ANALYSEprécédente s'applique aux cadres moyens et élevés, non à la fonction directoriale elle-même, du moins à l'époque actuelle. A un certain niveau de responsabilités apparaît une
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