Le Contrat Social - anno IV - n. 1 - gennaio 1960

L'HOMME DE L'ORGANISATION par Michel Collinet LE CONFLIT entre l'individu et la société est une idée du x1xe siècleaujourd'hui périmée, affirme un éminent sociologue français. C'est peut-être vrai dans la mesure où individu et société sont considérés en tant qu'entités abstraites, résistant à l'analyse psychologique; c'est faux dans la mesure où, sous les contraintes sociales, se découvre le dur noyau du Moi personnel. Le livre de William H. Whyte J r 1 confirme cette opinion : une société qui se veut organisée fabrique pour ses besoins quotidiens un homme-reflet tandis que reste inexpliqué - · au sens étymologique - l'homme de chair dont le premier est physiologiquement issu. L'homme dont parle Whyte n'est pas celui qui travaille pour une «organisation », qui y participe comme tout citoyen d'un pays civilisé, c'est l' organization man. Terme improprement rendu par le titre français et qui désigne en fait l'homme «produit» par l'organisation, c'est-à-dire une parcelle vivante mais «bien rodée » d'un Léviathan anonyme. Non pas un ouvrier mais un white collar, un membre de la classe moyenne salariée qui est passé par l'université et s'intègre dans les cadres, administratifs ou techniques, des grandes corporations industrielles ou commerciales des ÉtatsUnis. Ses ancêtres ont été élevés dans la vieille morale protestante farouchement individualiste, au temps où l'énergie physique et morale, l'acharnement au travail et l'esprit d'épargne étaient des vertus cardinales. L' organization ma,n en a gardé la haine pour le welfare state et toute forme officielle de collectivisme, alors que lui-même répugne à toute érargne, confie sa vieillesse à des compagnies d assurance et vit en rouage 1. William H. Whyte Jr : L'Homme de l'organisation. Traduit de l'am~ricainpar Yves Rivi~re. Pion, 1959, 570 pp. Biblioteca Gino Bianco satisfait d'un business collectif. Il s'est créé une nouvelle morale : Le groupe est source de toute puissance créatrice ; l'appartenance [au groupe] est l'ultime besoin de l'individu ; la science est le seul moyen de parvenir à cette appartenance (p. 7). Morale collectiviste, en fait sinon en intention, axée sur l'effacement de l'individu, la nécessité de son harmonisation avec collaborateurs et supérieurs, morale qui idéalise la contrainte sociale, chère à Durkheim, et en fait le signe visible de l'épanouissement personnel. La fusion dans le groupe, érigé en porteur efficacedes valeurs humaines, s'est substituée à l'individualisme historiquement personnifié par Franklin. Au x1xe siècle, le darwinisme, relayant le puritanisme, avait donné une base «rationnelle » à la lutte pour la vie ; la sélection des meilleurs avait succédé à la prédestination en identifiant les meilleurs aux plus forts ; le scientisme de l'époque avait servi de justification au « talon de fer». Aujourd'hui, le scientisme a créé, sous le nom d'huma,n engineering, une <<technique» de l'homme destinée à réaliser la fusion de l'individu avec le groupe. Refoulant le Moi personnel pour mieux l'extirper, il prétend supprimer tout conflit et développer dans une harmonie collective les qualités f>ropres à chacun. En ce sens, on peut dire qu il réalise dans les faits l'affirmation théorique du sociologue rejetant ce qu'il croit être la vieille lune romantique du conflit entre société et individu. Le nouveau scientisme affirme qu'avec du temps et de l'argent deviennent possibles une connaissance mathématique, cohérente et complète de l'homme, et une éthique fondée sur le calcul intégral. La morale se mesurera à l'indice d'appartenance au groupe, ses lois se détermineront à l'aide de la sociométrie. Mais cette nouvelle morale emprunte à la morale

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