10 Chinois ne donnent pas, tant s'en faut, tous les résultats escomptés. Il est très difficile d'autre part de juger du degré de pénétration de l'offensive communiste parmi les peuples qui se disent neutralistes ; du moins est-il clair que beaucoup d'entre eux pratiquent avec constance - et non sans habileté - une politique de bascule et de louvoiement dont il est naturel qu'ils veuillent tirer avantage. Même dans les pays qu'on classe, ou à peu près, parmi les démocraties populaires, l'Irak ou la Guinée par exemple, la dernière étape de l'assimilation n'est pas franchie ; il y subsiste une possibilité de manœuvre et de choix qu'on s'applique à maintenir. Cet attentisme très nuancé, très gradué selon les cas, est le meilleur des indices qui font croire que le mythe de la Révolution communiste a beaucoup perdu de son rayonnement ; il est désormais une force déclinante qui se survit ou se prolonge en un pesant appareil de conquête et d'encadrement. A l'intérieur même des pays ' qui lui ont donné naissance, la bureaucratie, la nouvelle classe des privilégiés, les sourdes résistances, les lentes désaffections, exercent des influences dont il est évidemment impossible d'apprécier l'étendue, mais auxquelles on est en droit d'accorder quelque crédit. Symétriquement, on peut bien constater sans présomption qu'en dépit de leurs fautes ou de leurs malheurs l'Occident et l'Amérique n'ont pas épuisé leur capital de prestige: le reste du monde les observe avec hésitation et n'est pas tellement convaincu qu'un proche avenir doive les pousser au tombeau. S'ils reprenaient courage et savaient parler clair, ils auraient encore bien des chances de l'emporter pacifiquement. Il leur faudrait d'abord développer un grand effort de coordination économique et technique. L'étonnant retour à la prospérité de l'Allemagne, de l'Angleterre, de la France, démontre que les formules semi-libérales réussissent partout aussi bien, et même mieux, à créer la richesse que les méthodes socialistes ou communistes. Le monde libre dispose d'autre part de ressources immenses et d'un appareil technique dont la modernisation se poursuit en bien des secteurs. Les vices de répartition et d'emploi qui affectent le système ne sont pas de ceux qui supportent de promptes corrections ; par contre il semble possible de réduire· 1es frictions qui se manifestent entre des groupes concurrents, entre les États-Unis, l'Angleterre et l'Europe des Six, d'instaurer une relative harmonie entre les différentes fonctions éconon1iques à l'intérieur du monde libre. C'est là où la technique, en sa forme organiciste, peut se donner belle carrière, étant bien entendu qu'elle s'allie nécessairement à la diplomatie et à la poµtique générale. Mais ce n'est pas tout. Le monde libre ne saurait négocier de façon valable avec le monde commuBibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL niste que s'il rassemble ses forces et ses arguments; or parmi les éléments et les conditions de sa puissance figure l'ascendant qu'il possède encore et qui retient en son orbite les peuples sousdéveloppés. Le jeu politique d'aujourd'hui requiert de lui qu'il sache distribuer à bon escient les crédits, les marchandises et tous les moyens de production; il ne serait payé que de la plus noire ingratitude si ces largesses n'étaient pas liées aux exemples vivants d'une culture et d'une civilisation encore capables de séduire. On accepte avec indifférence ou même avec aigreur les cadeaux d'un homme qui n'apporte rien de plus que des objets ; seuls comptent ceux qui s'enrichissent d'une certaine lumière. N'oublions pas d'ailleurs que les peuples d'Afrique et d'Asie qu'il s'agit de retenir ou d'attirer se définissent socialement par l'absence ou l'insignifiance des classes moyennes; l'opinion y est faite par des élites très peu nombreuses. C'est donc en fonction de ces élites que l'Occident se doit de veiller au renforcement de son prestige ; la chose n'est pas des plus ~isées, car elle implique cette fois une dichotomie. La puissance technique et matérielle signifie concentration, discipline, hiérarchie des compétences, spécialisation ; il faut qu'en même temps des valeurs humanistes et libérales puissent s'offrir à des esprits qui s'ouvrent, que la fausse clarté du marxisme vulgaire pourrait attirer et dont a chance de s'emparer une conception de l'homme et du monde venue de nos vieux pays. Pour peu qu'ils sachent encore garder conscience de leur originalité, de leur grandeur authentique, de leurs responsabilités envers eux-mêmes et envers tous, ils ne sont pas obligés de cultiver le défaitisme ou la résignation. Ainsi chaque donnée première reprend sa juste place. Il est très vrai que la technique n'a pas de patrie et qu'elle secrète un ordre inhumain qui est en passe de recouvrir la terre entière; il est faux qu'elle abolisse toute option politique, tout volontarisme et toute morale. Nous ne sommes pas libérés par le fatalisme technocratique du devoir d'organiser, sans aucun sacrifice essentiel, une coexistence.pacifique qui ne soit pas dérision et piège. Arnold Toynbee, René Grousset et bien d'àutres ont raison de nous rappeler énergiquement que les civilisations qui meurent sont toujours celles qui s'abandonnent et se trahissent. Selon la coloration et la finalité qui seront conférées à son emploi rationnel, la technique livrera le monde au communisme, ou bien permettra au contraire des actions d'ensemble qui le neutra~ liseront et le soumettront à l'épreuve d'une longue évolution interne dont le cours est imprévisible. I • LÉON EMERY.
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