L. EMBRY glace, ou parmi des populations indifférenciées qu'il suffirait de dénombrer. Mais on voit bien qu'il n'en est rien et qu'on ne se débarrasse pas si aisément de la politique. Le technocrate qui voudrait faire prévaloir ses méthodes se perd, ou du moins tâtonne, dans une réalité très complexe, en des masses humaines travaillées par des aspirations violentes et confuses, exposées à des sollicitations antagoniques, placées en des secteurs dont on se dispute la domination. Le sabbat recommence; disons plutôt qu'il n'a . . , Jamais cesse. Si les peuples sous-développés n'étaient que des fictions économiques, il leur importerait peu que les capitaux, les ingénieurs et les machines destinés à transformer leur condition leur vinssent de l'Est ou de l'Ouest, les centres industriels n'ayant eux-mêmes qu'à choisir, selon la loi de l'efficacité, des clientèles interchangeables; mais on voit bien que ces hypothèses se dissolvent dans l'abstraction. Reste à considérer une fois de plus le planisphère tel qu'il est, à voir se dresser les énormes reliefs par quoi s'expriment les puissances rivales des USA et de l'URSS, à situer sur un autre niveau, sur des niveaux inégaux, l'Europe, la Mandchourie, le Japon, à répartir autour de ces montagnes des peuples très divisés entre eux, ivres d'impatience ou de colère, secoués par la fièvre nationaliste ou même, déjà, les ambitions impérialistes, travaillés par des propagandes multiformes. L'enjeu du siècle, n'est-ce pas d'abord l'introduction de structures nouvelles en cette pâte humaine qui fermente, la surveillancede l'opération qui l'appelle à d'autres modes d'existence ? Problème technique si l'on veut, mais en un sens qui englobe finalement toute la politique. Au reste, il est maintenant banal de dire que le communisme table sur cette chance que lui offre la conjoncture; s'il confond sa cause avec celle de la technique, c'est parce qu'il croit ainsi donner son plein élan à la guerre subversive, attirer vers lui les prolétariats d'Asie, d'Afrique et de l'Amérique du Sud, condamner à l'isolement, à l'asphyxie économique, à la capitulation, les forteresses du capitalisme semi-libéral. Tant qu'il se croit assuré de l'emporter à bref délai, il lui en coûte peu de se montrer conciliant en paroles et même, à l'occasion, de faire des concessions qui ne touchent pas au fond des choses et dont on peut se glorifier auprès des foules crédules et simplistes. PRENONS-EN donc notre parti ; une sorte de re-colonisation technique, plus ou moins acceptée ou réclamée par ceux 'qui aspirent à l'indépendance nominale et aux avantages matériels de la vie moderne, est en cours sur la plus grande partie des continents. On peut rêver d'une association entre ceux que leur supériorité .Biblioteca Gino Bianco 9 scientifique et industrielle désigne pour diriger cette mutation ou bien, comme dans l'Antarctique, d'une équitable répartition des champs d'activité; mais c'est présentement chimère et l'on revient donc aux dures exigences d'une compétition dont le développement commande le destin des peuples libres. Ce serait alors commettre une erreur mortelle que se fier à la seule qualité technique des machines et des méthodes, comme si tout devait se régler entre commerçants, ingénieurs et banquiers ; la marchandise importe moins que le pavillon sous lequel elle se présente, que l'idéologie dont elle s'enveloppe, que la nuance morale de l'accueil. Il se pourrait que la technique elle-même fût en dernière analyse enrobée dans la propagande, soumise à des attractions et à des répulsions que les chiffres ne sauraient exprimer. De ce point de vue les communistes avaient quelque droit de se donner partie gagnée. Ne disposaient-ils pas, ne disposent-ils pas encore, de l'arsenal d'arguments fourni à bon compte par l'histoire vraie ou fausse de l'exploitation coloniale ? Il leur est facile de se présenter en tant que champions de l'anti-impérialisme et de convertir le sentiment de la souffrance injuste et humiliante en des phobies bien dirigées. Que la pénétration des propagandistes et des agents de tous ordres s'accomplisse en même temps à grande échelle, que les nationalismes afro-asiatiques soient parasités et tirés vers le pôle brillant que l'on montre, que les progrès industriels permettent, dans une mesure encore assez faible, l'octroi de crédits et la participation à la mise en valeur, tout cela en se conjuguant doit provoquer un glissement rapide sur une pente disposée avec art. Des petits manuels élémentaires de marxisme-léninisme jusqu'au noyautage des partis et des syndicats, jusqu'au lancement des fusées lunaires, se déploie une gamme de moyens d'action savamment mise au point par les techniciens, par les tacticiens de Moscou et de Pékin. Si l'on ajoute que les communistes utilisent sans vergogne et sans embarras un mélange explosif composé de formules marxistes, d'appels à l'émancipation, de démagogie nationaliste et de promesses technolâtriques, on est contraint d'avouer qu'ils disposent de très bonnes cartes et q_ue pour un Occidental l'inquiétude n'est pas irrationnelle. Cela posé, on n'en est que plus à l'aise pour constater que le cours des choses ne se réduit pas à un mouvement plus ou moins rapide 9iuiserait constamment dirigé dans le même sens ; l'impérialisme totalitaire marque des temps d'arrêt, connaît des échecs et des déboires. D'où l'on peut induire, mieux que par des analyses partielles, qu'il est gêné par des lésions internes ou qu'il rencontre des obstacles plus massifs que ne le comportaient ses prévisions. En dépit des vantardises qui sont un des moyens de la propagande, en dépit aussi des commodités inhérentes à la dictature, on sait que les plans russes et les « bonds en avant » des •
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==