Le Contrat Social - anno IV - n. 1 - gennaio 1960

8 puissance aveugle qu'il faudra discipliner ou dompter. Croire qu'elle poursuivra inexorablement son action, c'est vraiment trop accorder au fatalisme. Il y a plus. Nous voyons bien que la technique pèse de tout son poids sur la politique et contribue fortement à modeler les sociétés ; cependant il nous paraît bien trop simple de tout lui subordonner, de nier l'inégalité des résistances et l'importance des réciprocités. Les différences entre les démocraties libérales et les régimes totalitaires, entre les idéologies et les civilisations, ne sont pas tellement effacées par le rouleau compresseur de la technique qu'on puisse s'en désintéresser pour comprendre. Bornons-nous, là encore, à peu de mots. Qu'une centrale électrique soit la même dans la vallée du Tennessee que dans l'Oural, qu'elle détermine les mêmes méthodes de distribution, et même une certaine forme d'administration générale, soit; il n'en est pas moins vrai que l'emploi de la technique ou des techniques est infléchi en des sens divers selon les mœurs, les institutions, les préférences politiques, les legs de l'histoire. Nous ne savons que trop ce que sont, du point de vue de l'efficacité ou du rendement, les faiblesses des démocraties occidentales et des États-Unis, quelle y est la part du gaspillage, du luxe inutile ou démoralisant, de l'oisiveté, de la futilité, du stérile embourgeoisement ; mais nous savons aussi que ce déplorable désordre est la rançon de nos libertés, nous flottons entre le désir de les conserver et l'appel à un ordre juste qui serait plus contraignant, nous vivons en une complexité qui garantit encore les droits de la personne humaine. En sens inverse, le communisme russe et plus encore le communisme chinois sacrifient l'homme à des obsessions techniques et à la volonté de puissance, toute récompense se trouvant reportée en un futur idéal qu'on se garde de définir avec précision. Dans les deux mondes qui s'affrontent, la technique demeure donc servante, bien qu'elle prétende à la direction; ses modes et ses formes sont identiques, ce qui n'empêche pas qu'elle s'intègre à des composés très dissemblables, qu'elle reçoit l'empreinte d'une éthique, d'une culture, d'une vie nationale, d'un régime. L'heure n'est pas venue de l'homogénéité; tout compte fait et dans l'état présent des choses, on ne peut que s'en louer. UN MARXISME d'ailleurs . fort mal compris a créé sans même le chercher en des bourgeoisies veules et paresseuses un complexe d~ résign~t~on, de peur e~ ?<: curiosité qui leur fiut cons1derer comme mev1table l'avènement du communisme. Nietzsche dépeignait déjà cette plaintjve abdication en la dernière partie de son Zarathoustra. Il ne faudrait pas que le mythe Biblioteca Gino B1anco LE CONTRAT SOCIAL de l'omnipotence technique vienne maintenant justifier l'aboulie, l'abandon à des forces qu'on déclare engendrées d'elles-mêmes et, si l'on · peut dire, promues par artifice à la dignité de lois naturelles Aussi loin que peut porter dans le temps et dans l'espace le regard d'un observateur raisonnable, les oppositions et les menaces subsistent, exhortant les peuples libres à la vigilance et à la cohésion. Sans revenir sur toutes les questions qui constituent l'enjeu des négociations entre l'Empire soviétique et les démocraties occidentales, il ne sera pas inutile de nous tourner vers un secteur où le problème des emplois de la technique et de son influence politique se charge d'une intense signification. L'année 1959 aura vu naître, après des discussions qui n'ont pas fait grand bruit ni requis beaucoup de temps, un traité de coexistence pacifique applicable au continent antarctique et qu'ont signé douze puissances, parmi lesquelles Etats-Unis et Union soviétique. Ce n'est pas négligeable et, puisque les choses en sont là, il est permis de voir en cette convention le prototype de celles qui vaudront un jour pour l'espace interplanétaire et la Lune. En somme, tout se passe à merveille tant que la collaboration scientifique et technique s'exerce sur des déserts ou dans le vide ; les esprits chagrins ne manqueront pas de demander si la découverte au pôle Sud, par exemple de riches gisements d'uranium, ne remettrait pas en question les arrangements qui viennent d'être conclus, mais cette remarque désobligeante ne ferait que poser avec plus de précision le problème vers lequel nous avons ~arché au prix d'un détour plus apparent que reel. Personne ne conteste que la politique des grandes puissances industrielles est aujourd'hui commandée dans une large mesure par ce qu'il est convenu d'appeler l'aide aux pays sousdéveloppés ; il en sera notamment parlé lors de la future ou prochaine conférence « au sommet ». Les hommes n'étant pas parfaits, on est excusable de croire que les bonnes intentions des riches ne sont pas exclusivement dictées par des maximes évangéliques ou le sentiment d'une solidarité mondiale ; en fait, et si bienfaisantes que puissent être les,initiatives à prendre, il s'agit bien d'accélérer et de généraliser la mise en valeur des immenses z~nes où la yie ~st demeur~e archaï9:ue. Les orgamser, les eqwper, les mdustrialiser c'est, dit-on, le seul moyen de tirer de leur misère des plèbes faméliques ; mais c'est le seul aussi de faire fonctionner à plein le colossal appareil de production dont disposent certains, et de relancer l'économie mondiale en une nouvelle phase d'expansion. Ainsi défi.nie,la question paraît d'abord relever des techniciens qui, conquistadores et missionnaires à la fois, iront établir leurs derricks en plein Sahara et leurs barrages dans !'Himalaya. Tout serait relativement simple si l'on opérait sur la table rase, sur un continent de roc et de

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