Le Contrat Social - anno IV - n. 1 - gennaio 1960

L. EMBRY lisme, le capitalisme, le socialisme, le communisme, sont en train de se vider de leur substance. Pour abréger, ne tenons compte que des ÉtatsUnis et de la Russie. Il est puéril de croire que les États-Unis sont en notre temps la forteresse du capitalisme libéral, car ils ont depuis vingt-cinq ans franchi bien des étapes dans la voie du dirigisme, du planisme et même du socialisme pratique ; parallèlement, la Russie a édifié beaucoup moins le ,communisme qu'un gigantesque capitalisme d'Etat au sein duquel la technolâtrie se subordonne l'ensemble de la doctrine officielle. Les deux rivaux vont ainsi à la rencontre l'un de l'autre, les différences s'estompant, les ressemblances s'accusant au contraire. Qui sait si l'actuelle politique de détente ne serait pas commandée par une prise de conscience de ce double glissement vers une position moyenne ? La voilà bien la dialectique de l'histoire, en un sens que le marxisme orthodoxe n'a certes pas prévu ... * )f )f QU'IL Y AIT dans les thèses de la pantechnocratie une large part de vérité, c'est l'évidence; que les idéologiespolitiques retardent sur l'événement, cela ne paraît guère plus douteux. Le communisme théorique est un produit de l'ère industrielle, mais ni Marx, ni même Lénine, ne pouvaient imaginer le vertigineux emballement des techniques, car ils appartiennent encore au xixe siècle. Le pouvoir des machines est devenu en quelques années inévaluable ; les structures administratives et sociales se modèlent de plus en plus sur celles des trusts, la classe savante et technicienne formant partout une bureaucratie organisée qui légifère cent fois plus que les Parlements et les partis. Comme il n'est rien de plus aisément imitable ou transmissible que les méthodes et les techniques, comme on peut affirmer qu'elles n'ont pas de patrie ni de langage national, on f, rédit avec assurance leur extension rapide à ensemble de la terre. Initier un primitif à la culture occidentale, c'est chimère; lui ap~rendre à conduire une machine ne fait pas difficulté. Très plausible est aussi l'idée que les traditionnelles différences politiques et sociales perdent rapidement de leur importance, et que ceux qui ne s'en aperçoivent pas risquent fort d'être dupes des mots et des formules. Reconnaissons, pour mieux préciser, que la technocratie moderne opère la synthèse de tout ce qui depuis un demi-siècle s'appela rationalisation, fordisme, taylorisme, dirigisme, planisme, organisation centralisée de l'État, et que la convergence de tant d'éléments équivaut à une révolution, à la plus radicale peut-être de toutes celles qu'a connues l'histoire. Parmi les signes, très nombreux, qui enregistrent cette vaste BibliotecaGino Bianco 7 transformation, notons ceux qui corrigent par exemple l'image désormais rétrospective et presque légendaire du libéralisme anglo-saxon. Il y a beau temps que l'Angleterre n'est plus, comme on disait, une aristocratie de juges de paix, mais c'est sous nos yeux que les comités d'experts ont fait de l'hôtel de Downing Street, bien plus que du Parlement, le centre moteur de la vie nationale, de cette vie dont les observateurs déclarent qu:elle s'américanise chaque jour davantage. Aux Etats-Unis l'action politique courante n'est plus guère qu'une pièce à grand spectacle dont la portée pratique est des plus limitée ; l'Administration fédérale, en liaison avec les Instituts de la conjoncture, assume un rôle prépondérant. Quant à la Russie soviétique, puisqu'on ne peut manquer de revenir vers elle, il est savoureux de penser qu'elle vit de ce que Marx appelait le surprofit capitaliste et qu'elle a inauguré dans l'histoire du monde le règne absolu, non pas certes du socialisme ou du communisme, mais du planisme étatique. Ces faits majeurs, tant d'autres qu'allègue M. Ellul, tant d'autres encore qui s'ajouteraient à la liste, constituent un suffisant hommage à cet organicisme technique qui paraît souvent fonctionner selon ses lois propres et ne se donner d'autre fin qu'ordonner pour ordonner, produire pour produire, sans aucun souci de l'homme et encore moins des structures sociales. Qu'il faille donc réviser une dialectique périmée ou, ce qui revient au même, donner une place accrue à Saint-Simon, nous en conviendrons volontiers. Gardons-nous pourtant de laisser s'enflammer notre imagination anticipatrice, laquelle trop souvent se borne à extrapoler ou à prolonger la courbe. Il n'est pas du tout démontré que l'extension universelle de la technocratie pianiste soit désormais le seul programme concevable ou la seule réalité positive, ni qu'elle puisse s'accomplir sans être marquée par des fluctuations ou des régressions d'une grande amplitude. La sagesse relativiste doit se fonder sur des raisons dont quelques-unes sont tout à fait élémentaires. Bien que la technique ne se confonde pas avec ses applications industrielles, elle participe forcément de leur évolution. Or personne ne peut dire ce que seront dans les années à venir les sources d'énergie, l'outillage mécanique, l'aménagement des usines. A supposer que le charbon, puis le pétrole, cèdent le pas à de nouvelles puissances, comment prévoir les suites ? Quels pays monteront ou descendront ? Les usines seront-elles concentrées ou dispersées, érigées en des combinats bien plus colossaux que ceux d'aujourd'hui ou dispersées en d'innombrables ateliers régis par des centres d'automation ? Sans doute on pourra dans tous les cas proclamer que la technique se rit des théories politiques et fait éclater les systèmes, mais cela n'ira pas sans crise ni peutêtre sans des réactions passionnées contre une

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