Le Contrat Social - anno III - n. 6 - novembre 1959

• MAO TSÉ-TOUNG ET LE LÉNINISME par Karl A. Wittfogel E COMMUNISME marxiste-léniniste est un système_ d'analyse et d'interprétation., outre un faisceau de moye11s stratégiqu~s et d'organisation., pour instaurer et maintenir un pouvoir politique., économique et idéologique total. Les maîtres de l'État-appareil communiste mettent l'accent sur l'économie de puissance (intérieure et internationale) aux dépens- de l'économie de subsistance. Ils constituent une classe dirigeante d~nt l'autorité de propriétaire et d'administrateur., les privilèges sociaux et l'autoglorification idéologique surpassent les prérogatives dont ait jamais joui aucune autre élite dominante. La conscience de classe des nouveaux « hommes de l'appareil » ( apparatchiki) n'est égalée et peutêtre surpassée que par celle des membres de l'élite communiste des pays non communistes., dont la soif de pouvoir total est excitée par les difficultés qu'ils rencontrent. A la lumière de ces faits élémentaires., nous décelons aisément les idées fausses à l'origine de certaines interprétations largement répandues du communisme chinois. On nous répète souvent que les communistes chinois peuvent avoir le désir d'affirmer leur indépendance à l'égard de Moscou au point de provoquer un conflit ouvert. Les tenants de cette opinion méconnaissent l'attrait essentiel du pouvoir total, l'intérêt de classe et la perspective historique qui - en dépit des conflits permanents à un niveau inférieur - unissent les communistes chinois et les soviétiques. La connaissance de ces faits facilite la compréhension des rapports entre Moscou et le communisme chinois, car elle permet de juger à leur valeur des circonstances dans lesquelles ils opèrent l'un et l'autre. Il devient clair alors qu'il est faux de prétendre que les communistes chinois ont été préparés à agir d'une façon indépendante de Moscou sous prétexte qu'ils ont, sous la conduite de Mao, créé une tradition originale sinon hérétique, Biblioteca Gino Bianco Ce raisonnement., connu sous le nom de thèse «maoïste»., est historique dans sa forme., mais politique par son contenu. Il a pris naissance à partir de conceptions erronées du communisme soviétique (en particulier du léninisme) et du communisme chinois (en particulier de l'attitude de Mao Tsé-toung). En 1948., John K. Fairbank, dans son livre The United States and China, suggéra que la politique de Mao., en raison du rôle spécial qu'elle attribuait aux paysans., suivait « la tradition chinoise de la révolution plutôt que la tradition marxiste ». En 1951, sous l'égide de Fairbank., Benjamin Schwartz., dans ChineseCommunism and the Rise of Mao, développait la thèse suivant laquelle Mao poursuivait une politique paysanne non orthodoxe («maoïste»). En 1952, Conrad Brandt., Benjamin Schwartz et John K. Fairbank étayaient encore la thèse maoïste dans A Documentary 1 History of Chinese Communisme qui présente en traduction et dans l'ordre chronologique des textes communistes, le tout accompagné de commentaires interprétatifs. Selon les auteurs de l' Histoiredocumentaire., Mao fit pour la première fois acte d'hérésie dans une étude sur les conditions rurales de sa province natale., le Hounan ( Rapport d'une enquête sur le mouvement paysan du Hounan), qu'il écrivit en février 1927; et c'est en 1940, dans sa brochure Sur la nouvelle démocratie, qu'il se serait manifesté comme théoricien original. Dans son rapport de 1927, disent les auteurs de l' Histoire documentaire., Mao fit ce qu'« aucun écrivain précédent de l'école marxiste-léniniste n'avait jamais songé à faire». Il présenta comme « avantgarde révolutionnaire de la révolution bourgeoisedémocratique (...) la paysannerie pauvre» plutôt que les ouvriers (Histoire documentaire, p. 79), commettant ainsi « une hérésie dans les actes » envers l'un des « postulats vitaux du marxisme- •

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