rev11e!tistoriqi1e et critique Je1 faits et Jes iJées Novembre 1959 Vol. III, No 6 • LE MYTHE DU << DÉFI >> par B. Souvarine 'ADOPTION soudaine et irraisonnée d'un lieu commun par l'opinion courante offre un mystère quasi insoluble et ce serait beaucoup de temps perdu que de remonter aux sources, de retracer le processus qui aboutit à la banalité du jour. Il suffit de constater comme actuellement admise en général la notion mythique d'un « défi » dont il est question désormais dans toute la presse écrite ou parlée, chez tous les commentateurs attitrés de ·politique internationale. On ne sait pas exactement en quoi ce défi consiste, ni quelles en pourraient être les conséquences, mais l'acceptation généralisée de ce concept banal dispense le public et ses mentors de penser, le défi tenant lieu d'axiome. Il ne manque qu'un axiomètre permettant de s'orienter dans la confusion qui en résulte. En l'absence d'un dictionnaire des idées reçues donnant une définition autorisée du défi à la mode, il faut se tourner vers Moscou d'où vient ledit lieu commun entre beaucoup d'autres que, par ignorance, apathie ou défaitisme latent, le monde occidental incorpore si volontiers à ses vocabulaires. Dans la langue des épigones de Staline, « défi » est à peu \'rès synonyme de « coexistence » et de u compétition pacifique », avec quelque chose de plus. A première vue, le truisme de coexistence ne méritait point qu'on s'y arrête puisque tout état de paix ou de non-guerre im&!que à la fois existence et coexistence. Mais s un récent discours prononcé à Novosibirsk (Pravda du 14 octobre dernier), Khrouchtcheva précisé comme suit la teneur du vocable : u La coexisBiblioteca Gino Bianco tence est la continuation de la lutte des deux systèmes, mais une lutte par des moyens pacifiques, sans guerre .•. C'est une lutte économique, politique et idéologique, mais non militaire ». La compétition pacifique ne se différencie pas de ce genre de coexistence. Quant au défi, de sens identique, il faut l'entendre avec une nuance de provocation supplémentaire : la compétition devient rivalité, la joute se transforme en combat singulier par décision 11nilatérale. Khrouchtchev tient donc pour acquise l'existence de deux « systèmes » dans le monde, sans prendre la peine d'y regarder de trop près, ce qui lui épargne de voir que les choses ne sont pas aussi simples. Pour un primaire de son espèce et pour ses pareils qui récitent leur catéchisme léniniste, une lutte se livre entre le système capitaliste et le système socialiste, entités indiscutables. En fait, comme on l'a remarqué maintes fois, le prétendu système capitaliste se caractérise par une variété de modes de production, de voies et moyens d'exploitation et d'échanges qui exclut le principe même d'un « système ». Le prétendu système socialiste hérité de Staline n'a pas plus de cohérence systématique conforme à la doctrine ; sans refaire une fois encore la comparaison de la pratique soviétique avec la théorie marxiste, il suffit de noter ici que les résultats dont le pouvoir se targue à Moscou s'obtiennent à force de copier le capitalisme, surtout dans ce qu'il a de pire. Le sophisme des « deux systèmes » mis à part, il reste qu'en réalité Khrouchtchev oppose systé- • •
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