Le Contrat Social - anno III - n. 6 - novembre 1959

360 étonnante ·diversité. Il existait des différences d'étendue, d'organisation et de planjfication économique. Certaines communes étaient hautement « communistes », satisfaisant presque tous les besoins vitaux de leurs membres, en vertu des systèmes dits des « sept fournitures » et des « dix fournitures » ; dans d'autres, le riz seul était distribué, les autres denrées essentielles devant être achetées avec les salaires. La résolution du Comité central du 29 août disait explicitement que l'importance et les méthodes des communes, ainsi que le rythme et les étapes de la transformation, seraient déterminés sur place et non du c~ntre. Bien que cela traduisît peut-être la recon- ~aissance que des variantes locales étaient inévitables dans un programme si vaste, il paraît plus vraisemblable qu'aucun plan d'ensemble bien précis n'ait été élaboré d'avance. Le fait qu'on n'ait presque pas parlé des communes expérimentales créées quelque temps auparavant (dont la commune Spoutnik dans le Honan, devenue fameuse depuis) confirme cette supposition. De plus, la manière prééipitée et en apparence incontrôlée dont la campagne fut menée cadre mal avec l'existence d'un plan général. Certains observateurs étrangers présents au plus fort de la campagne virent dans la « poussée » apparente le signe d'un enthousiasme populaire véritable ; certaines publications de gauche ne manquèrent pas de reprendre ces vues pour prouver que les masses soutenaient l'action du régime. D'autres témoignèrent cependant de plus de discernement. Crossman, membre du Parlement britannique, qui séjourna en Chine en septembre 1958, devait écrire plus tard qu'une « dure élite puritaine de paysans communistes » avait été le vrai moteur de la communisation. Le régime, affirmait-il, avait été surpris luimême par le bourgeonnement rapide du mouvement et était intervenu alors pour « égaliser ce développement inégal >i 2 • Il serait en effet inconcevable qu'il se fût agi d'un mouvement vraiment populaire, commandé par l'enthousiasme unanime du paysannat. ·Les paysans sont partout conservateurs et se méfient des changements. Mais le régime de Mao a réussi, ces dernières années, à créer dans les campagnes un nouveau corps de mj)itants du Parti - jeunes gens pour la plupart d'extraction très modeste - qui connaissent désormais un nouveau sens du pouvoir. C'est là cette « dure élite puritaine » qu'a vue Crossman et qui ·fut le moteur de la campagne de communjsation. L'organisation exige évidemment des organisateurs. La simple énonciation d'un édit ne suffit pas à opérer un changement ; il y faut aussi un corps de chefs à l'échelon local, soumis à l'autorité centrale mais néanmoins prêts à prendre l'initiative et à agir spontanément. La littérature com- · · z. R. H. S. Crossman : « The Chinese Communes », New Statesman, 10 janvier 1959, pp. 34-35. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE G'OMMUNISTE muniste sur l'organisation, en particulier les écrits de Liu Chao-tchi, souligne constamment la nécessité d' « initiative » et de « spontanéité » de la part des cadres ainsi que, chez leurs opposés « dialectiques », de discipline et de soumission absolue à l'autorité supérieure du Parti. Initiative plus soumission, c'est en effet là l'essence même du « centralisme démocratique» dans le contexte chinois. La . « dure élite puritaine » de paysans communistes a été formée pour répondre à toute nouvelle politique avec ces deux qualités. L'expérience du canton de Hsou-choui, dans la province de Hopé, visité depuis par nombre de voyageurs étrangers, offre un bon exemple des excellents résultats qu'a donnés cette formation de cadres paysans. Le 20 août 1958 ( deux jours après la publication du premier rapport sur les communes), l'organe central du Parti, Djen-min djih-pao (Quotidien du peuple), annonçait qu'à la suite d'une visite de Mao le 4 août, les 248 coopératives du canton de Hsou-choui avaient fusionné en communes, l'ensemble du processus se trouvant plus ou moins achevé au milieu du mois. 11 n'est guère douteux que la visite de Mao ait déclenché le mouvement (anticipant en fait sur la directive du C.C. du 29 août), mais une réorganisation si rapide et à si grande échelle, affectant une population de 310.000 âmes, aurait été impossible sans l'initiative et l'effort discipliné d'un corps local d'organisateurs du Parti. Correction et consolidation IL FAUT ici marquer une pause et brosser un tableau un peu plus large de la tactique communiste en général. Chaque fois que le régime a introduit de nouvelles mesures majeures, il a d'abord formulé la politique en termes généraux et l'a annoncée au public à grand renfort de publicité. Les résolutions du Parti sont adressées aux dirigeants locaux pour être discutées d'abord en réunions publiques, puis appliquées en fonction des conditions locales. Cette phase initiale est caractérisée par beaucoup d'agitation, de confusion et de variantes locales. Plus tard, l'expérience ayant montré dans quelle direction· précise le régime doit s'engager, une seconde phase s'ouvre, dans laquelle la direction centrale exerce une autorité unificatrice. Ce n'est plus alors une initiative locale spontanée qu'on exige des cadres, mais une obéissance monolithique. Cette tactique, qu'on pourrait définir comme « deux pas en avant, un pas en arrière», a été appliquée lors de chaque mouvement de masse lancé par les communistes depuis qu'ils sont au pouvoir. Cela apparaît clairement dans le développement des communes, où la seconde phase - autorité unificatrice, correction des excès et consolidation-a commencé en décembre 1958 et se poursuit encore aujourd'hui. L'expérience de la première phase montra que si les communes résolvaient ou atténuaient cer-

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==