TH. RUYSSEN • inespéré du Risorgimento ne satisfaisait pas encore les plus exaltés des patriotes italiens ; la Vénétie avait été laissée sous la souveraineté de l'Autriche et Rome sous celle du pape. Garibaldi et Mazzini dénoncent avec fureur cette double offense au principe des nationalités ; le premier, à la tête de ses « chemises rouges », tente en vain de s'emparer de la Ville éternelle et Mazzini, réfugié à Londres, lance la fameuse Dichiarazione du 30 mai 1862 où il proclamait : « Nous voulons Rome et la Vénétie, parce que c'est à Rome que gît le secret de notre unité, comme gît à Venise le secret de la décomposition de l'empire d'Autriche. » Il concluait : « Si les hommes du gouvernement (...) violent le droit des associations formées en faveur de Rome et de la Vénétie (...), • nous conspuerons ». Ce sont, selon sa propre expression, ces « conspirailleries » de Mazzini qui exaspèrent Proudhon ; il interrompt soudain la rédaction de son livre sur la Pologne et écrit en juin ou juillet, avec une verve endiablée, pour l' « Office de publicité » de Bruxelles, l'article : Mazzini et l'unité italienne, qui n'est autre que le premier chapitre de la brochure : La Fédérationet l'unité en Italie ; celle-ci parut en octobre. Le succès en fut retentissant et prit même en Belgique l'éclat d'un scandale. Une phrase imprudente de Proudhon avait donné à penser que l'auteur envisageait l'extension jusqu'au Rhin du territoire français ; une violente agitation se déchaîna contre le publiciste ; une foule furieuse se massa devant sa maison d'Ixelles aux cris de : « A bas les annexionnistes ! » Proudhon se hâta de revenir à Paris où une amnistie récente lui permettait de rentrer. Qu'y trouva-t-il ? Une presse où il n'était question que de lui et de ses idées. D'un côté, les journaux libéraux, le Siècle, la Presse, fulminaient contre l'adversaire de l'unité italienne, tandis que la presse catholique, la France, la Gazette de France, félicitaient le doctrinaire qui avait osé écrire : « Dieu, c'est le mal» de se poser en défenseur du pouvoir ·temporel de la papauté. Stimulé par le fracas de ces polémiques, Proudhon décide d'en appeler aux principes les plus généraux de la philosophie politique ; d'un trait de plume, il écrit les 324 pages du Principe fédératif qui paraît au milieu de février; au 1er mars 6.000 exemplaires avaient déjà été enlevés. Ajoutons, pour en finir avec ce préliminaire historique, que la publication du Principef édératif fut loin de désarmer la critique. Le Siècle, la Presse,l'Opinionnationale continuent à réclamer l'unité intégrale de l'Italie. Proudhon re~rend la plume à la fin de l'année 1864 et écnt les NouTJellesobservations sur l'unité italienne qui ~araissent sous forme d'articles dans le Messager âe Paris; c'est le dernier ouvrage dont il a pu corriger les épreuves. Peu de temps après la mort de l'auteur,ces articles,expressionsupr&ne Biblioteca Gino Bianco 355 de sa pensée, reparaissaient en une brochure chez l'éditeur Dentu. * ,,. ,,. QUELLE EST la conception proudhonienne du fédéralisme ? Il importe, pour en bien juger, de rappeler le titre complet de l'ouvrage : Du principe fédératif et de la nécessitéde reconstituerle parti de la Révolution. II s'agit donc de tout autre chose que du cas particulier de l'Italie. Proudhon est convaincu que la Révolution de 1789 était essentiellement d'esprit fédéraliste et que cet esprit a été étouffé par les gouvernements autoritaires qui se sont emparés du pouvoir, Jacobins, Bonaparte, Bourbons. Le temps lui semble venu d'éclairer l'opinion publique sur le véritable caractère de la Révolution ; mieux encore, de définir les principes fondamentaux de la philosophie politique. Aussi écrit-il dès les premières lignes : « La théorie du système fédératif (...) est intimement liée à la théorie générale du pouvoir (...) ; elle en est la conclusion nécessaire » 3 • C'est donc la nature du pouvoir politique qu'il s'agit de définir. A cet effet, Proudhon cède à la pente naturelle de son esprit qui le porte à la dialectique, c'est-à-dire à la découverte des relations rationnelles des idées pures. On sait qu'il a été longtemps hanté par la « triade » hégélienne : thèse, antithèse, synthèse ; il donne maintenant la préférence à la théorie de l' « équilibre », du « balancement » qu'il vient de mettre à profit dans la Justice. Il pose donc dès le début cet • axiome : L'ordre politique repose fondamentalement sur deux principes contraires, l'AUTORITÉ et la Liberté : le premier initiateur, le second déterminateur ; celuici ayant pour corollaire la raison libre, celui-là la foi qui obéit (p. 271). Pourquoi Proudhon accentue-t-il par la typographie la différence de ces deux termes ? C'est que, dans sa pensée, l'autorité est première, historiquement aussi bien que logiquement ; elle est la force qui seule peut prendre l'initiative, tandis que la liberté, attribut de l'esprit, intervient pour limiter, ordonner ou au besoin dissoudre les œuvres de l'autorité. Ainsi autorité et liberté sont aux yeux de Proudhon deux sources d'imJ?ulsion entre lesquelles, par un jeu continu d'acttons et de réactions, de conquêtes et d'abandons, s'établit une stabilité plus ou moins durable. Toute l'histoire humaine p9urrait ainsi se définir: un «balancement» entre les envahissements de l'autorité et les reprises de la liberté, et Proudhon s'efforce de suivre ce processus dans l'évolution de la famille, de la cité, de la monarchie, de la théocratie ; à toutes ces étapes, l'autorité tend à la centralisation, à l'extension du territoire, au pouvoir absolu, tandis que l'esprit tend à restreindre la compétence du pouvoir et à en assouplir l'exercice. 3. P. 270 de l'~dition dont cet article r nd compte, •
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