YVES LÉVY est évidemment dans « les abus de la vie parlementaire française». Et c'est ici que se manifeste l'absence d'esprit scientifique de l'auteur. Ne laisse-t-il pas entendre que les hommes sont responsables, non le système ? Mais il n'y a d'abus que là où les institutions~ laissent aux passions individuelles licence de s'assouvir. Il ne discerne d'ailleurs pas que ces transformations ne changent pas seulement les rapports du Parlement et du gouvernement, mais la fonction même du Parlement et celle du gouvernement. Il ne voit pas qu'il s'agit d'une structure nouvelle à comprendre selon son ordre propre. Non. A ses yeux les députés sont comme des enfants à qui on laissait trop de liberté et qui n'ont pas été sages. On décide d'user d'un peu de fermeté. C'est pour leur bien. Et M. Duverger serait tout à fait d'accord s'il pensait que cette rigueur est exercée à contre-cœur et par des gens qui la déplorent. Ce qui le tourmente, c'est qu'il est convaincu que les choses vont à l'inverse et que la bonne discipline est imposée dans un mauvais esprit. C'est cela, le fond du raisonnement de M. Duverger. Et l'on est fondé à se demander si les partisans de la philosophie des lumières ne sont pas sans cesse tentés par le despotisme éclairé. Ce raisonnement, c'est à coup sûr de M. Duverger qu'on devait l'attendre le moins, car enfin comment peut-on à la fois présenter la « souveraineté du Parlement » comme un idéal, et avouer que les abus faisaient souhaiter une diminution, voire un effacement de cette souveraineté ? Quelle souveraineté pourrait alors se substituer à celle du Parlement ? S'il n'y a pas de souverain pour redresser les abus du Parlement - et il n'y en a pas lorsque le Parlement est souverain - il est inévitable qu'interviennent le complot et l'émeute. Et c'est précisément ce que nous .avons vu : l'anarchie parlementaire nourrissant •en permanence des menaces de guerre civile. Quand l'idée de la souveraineté du Parlement serait admirable en théorie, il faut avouer que, dans ses incarnations historiques, elle fait bien triste figure. Doit-on s'attarder à examiner les deux derniers traits isolés par l'auteur ? Le troisième à vrai dire n'est qu'un complément du second. Quant au quatrième - « l'influence donnée aux notables ruraux et la méfiance à l'égard du suffrage universel» - il ne résiste guère à l'examen. Il s'agit de l'élection du président de la République et du Sénat par un collège de grands électeurs où les ruraux sont majoritaires. Concernant le président, M. Duverger luimême nous apprend que le projet établi par M. Debré prévoyait un scruun indirect, mais égalitaire, et que les socialistes s'y sont opposés. Sans doute ces derniers ont-ils craint que, même au second degré, le vote ne prît une allure plébiscitaire. Quoi qu'il en soit, on ne sauraitparler ici d'intentions orléanistes, et il apparaît que, pour fuir ce reproche, il fallait encourir l'imputation de bonapartisme... Biblioteca Gino Bianco 349 C'EST par le Sénat qu'on terminera cette revue des idées du professeur Du verger sur la Constitution de 1958. Il dit et répète (pp. 76, 128) qu'on en a accru l'importance : « La Chambre d'agriculture peut reprendre le rôle néfaste qu'elle a joué de 1875 à 1940, s'opposant à toute nouveauté, freinant toute évolution, enlisant la nation dans des structures périmées. » Ailleurs (pp. 147, 195) le Sénat est présenté comme « un auxiliaire du gouvernement, vis-à-vis de l'Assemblée nationale », on lui a assigné un rôle « plus perfectionné que celui que lui avaient confié les ducs orléanistes de 1875 », il a « pour objet essentiel de contenir l'Assemblée nationale ». Un esprit satanique a-til donc agencé les dispositions constitutionnelles de façon qu'une cohorte de hobereaux paysans retranchés au Luxembourg fassent échouer toutes les entreprises du suffrage universel ? On le croirait, à lire ce commentaire indigné. La réalité est toute différente, et M. Duverger le sait bien : il n'est que de lire (pp. 128-130) l'exposé qu'il en donne. Un premier paragraphe montre « l'égalité des chambres » lorsque le gouvernement n'intervient pas. Orléanisme ? Non : c'est exactement ce qui se passait sous la IIIe République. Un second paragraphe fait état, en cas· d'intervention du gouvernement, d'une « restriction des pouvoirs du Sénat ». Ce point capital disparaîtra entièrement du commentaire. Mauvaise foi ? Non certes. Mais, on va le montrer, totale incompréhension de la structure constitutionnelle. Après avoir exposé la procédure qu'on vient de dire - égalité des Chambres ou prépondérance de l'Assemblée selon que le gouvernement se désintéresse d'un projet ou l'approuve - le professeur Duverger conclut (p. 130) : Cette procédure montre bien le rôle assigné au Sénat dans la Constitution de 1958 : il est chargé de restreindre la liberté de l'Assemblée nationale, dans la mesure où celle-ci est en désaccord avec le Gouvernement ; dès que le Gouvernement approuve les décisions de l' Assemblée nationale, le Sénat ne peut plus s'y opposer. Ainsi, tout ce que notre auteur voit dans cette procédure, c'est que le gouvernement se servira de la Chambre quand elle sera d'accord avec lui, et lui opposera le Sénat en cas de désaccord : la procédure favorise systématiquement le gouvernement, défavorise systématiquement l'Assemblée. Cette interprétation semble bien être le fruit d'un préjugé (et l'on peut sans doute parler de préjugé dans le cas du professeur Duverger puisque c'est le 12 juin 1958 - dans le Monde daté du lendemain - qu'il dénonça pour la pr - mière fois le caractère orléaniste d'un C n titution dont l'avant-projet ne devait êtr publi' qu'un mois et demi plus tard). Consid 'r e is - lément, cette procédure peut bien être c n1pri •
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