348 Ainsi le trait essentiel de l'orléanisme est absent de notre Constitution, l'auteur le sait, le dit, et n'en maintient pas moins sa conclusion. C'est, allègue-t-il, que dans la pratique le général de Gaulle aura un poids décisif. Cela peut être. Mais ce n'est pas un trait de la Constitution : c'est un phénomène politique qui mérite réflexion, et dont nous avons du reste, dans le précédent numéro du Contrat social, tenté d'indiquer la signification prof onde. Le texte de nos précédentes Co11stitutions ne prévoyait pas d'emploi de sauveur suprême, mais nombreux sont les actes humains dont le résultat n'est pas celui qu'on se promettait. Or c'est, comme plusieurs autres, en tant que sauveur que le général de Gaulle est venu au pouvoir, et à ce titre il est un produit des Constitutions de la IIIe République (pour son action en 1940) et aujourd'hui de la IVe République. Ce qui est particulier au général de Gaulle, c'est qu'il a doublé son emploi de sauveur d'une fonction de réformateur dont la portée est infiniment plus grande. Il est curieux de constater que M. Duverger confond le sauveur et le réformateur. Au moment même où il note que le réformateur a rejeté le trait essentiel de l'orléanisme, il lui reproche ce qui relève typiquement de son emploi de sauveur, c'est-à-dire ce qui est la conséquence du régime précédent 3 • * ,,. ,,. DES QUATRE TRAITS isolés par le professeur Duverger, le premier ne nous paraît donc pas, ne lui paraît pas à lui-même (parce qu'il voit les choses comme elles sont, bien qu'il n'aperçoive pas la structure véritable de l'ensemble, et noie ce qu'il observe dans un 3. On entrevoit ici une des sources majeures des jugements erronés sur la nouvelle Constitution. Comme tous les organes qu'elle prévoit sont en place, on en déduit, explicitement ou implicitement, qu'on peut la juger d'après la pratique actuelle. C'est une erreur. Si juridiquement nous soITu.-nesrégis par la Constitution de 1958, historiquement nous vivons une période de transition. Il y a là un phénomène qui se produit à tous les changements de régime, et qui est très aisé à concevoir dès qu'on y est attentif. La présence du général de Gaulle a été consacrée après coup conformément aux règles constitutionnelles q~'il a lui-même promulguées. Mais cette présence est antérieure à la Constitution de 1958, et rien ne pourra faire qu'il ne soit venu au pouvoir, conformément aux usages de la IIIe et de la IVe République, pour résoudre des questions que l'impuissance gouvernementale et l'anarchie parlementaire étaient incapables de résoudre. Le rôle qu'il joue présentement correspond beaucoup moins à ses pouvoirs constitutionnels qu'à la mission dont l'a investi la confiance populaire sous le régime précédent. Une autre raison historique contribue à 'donner au général de Gaulle non le caractère d'une personnalité du nouveau régime, mais celui d'un personnage de transition : c'est que ses rapports avec le premier ministre ne peuvent pas correspondre au strict cadre constitutionnel. Pour qu'ils y correspondissent, il aurait fallu non seulement que la présence du général de Gaulle ne fût pas antérieure au régime, mais aussi que le premier ministre eût à se présenter devant une Assemblée nouvelle. Or l'Assemblée élue sous l'empire de la nouvelle Constitution est bea.ucoup plus proche des anciennes BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT soc1A1f · · ' . ) l' . S ~ commentaire passionne, partisan or eamste.- ~r le second - « l'effort fde rationalisation des assemblées, qui aboutit·,. à placer le Parlement dans une situation inférieure» et qui, nous l'avons vu, rappelle « la Monarchie de Juillet et plus encore la Restauration » - consultons M. Duverger. Il écrit, p. 18 : C'est probablement la partie la plus valable de la Constitution. Certes les ,constituants ont été parfois trop loin : en ligotant le Parlement par des règles trop strictes, ils l'ont· placé dans une posture assez peu prestigieuse ; ils l'ont trop abaissé. Mais les abus de la vie parlementaire française depuis un demi-siècle étaient tels, que la brutalité du remède est explicable. L'auteur revient à plusieurs reprises sur les abus de la souveraineté parlementaire, et la nécessité où l'on était d'y remédier. Par exemple, p. 131 : « On approuvera que la Constitution de 1958 ait achevé l'évolution commencée sous le régime précédent, dans le sens d'une limitation de l'initiative parlementaire en matière de dépenses. » P. 155 : « En ôtant aux assemblées parlementaires le contentieux de leurs élections, la Constitution de 1958 a voulu porter remède à des abus indiscutables. » P. 196, parlant du « parlementarisme rationalisé » institué par la nouvelle Constitution, il écrit : « L'expérience en montrait la nécessité. » M. Duverger approuve donc toutes ces mesures qu'il dénonce en d'autres passages comme manifestations d' orléanisme. Il les approuve à regret, car la « souveraineté du Parlement » ( comme nous avons vu qu'il dit) lui paraît plus « républicaine>> que cet abaissement. Néanmoins il les approuve. Ceci doit nous arrêter un moment, car il est étrange de voir un théoricien préférer ce qu'il a défini comme mauvais à ce qu'il a défini comme bon. L'explication de cette étrangeté que des futures Assemblées. Les électeurs ont voté comme ils avaient fait jusqu'à présent, c'est-à-dire pour des candidats au programme soit théorique, soit incertain, voire pour des candidats tout à fait dépourvus de programme, mais affichant une fidélité de commande à l'égard de l'homme providentiel. On peut donc dire qu'au cours des élections législatives, les électeurs ont voté les uns pour le chef de l'État, les autres pour des députés semblables à ceux des Assemblées précédentes. A peu près personne n'a pris conscience que le vote du pays allait pour la première fois, par suite des nouvelles dispositions constitutionnelles, déterminer la composition d'un ministère stable et pourvu de pouvoirs réels. D'ailleurs quand on en aurait pris conscience, il était impossible de voter autrement qu'on n'avait fait jusqu'alors. Ce n'est qu'à la deuxième ou troisième consultation que le vote du pays pourra prendre la signification nouvelle : le choix entre l'équipe qui a durablement exercé le pouvoir et les projets de l'opposition. Ce phénomène explique un propos comme celui que la presse attribuait récemment au président Vincent Auriol, qu'il ait exptimé son opinion ou celle d'autres démocrates : « Quand il n'y a plus de crise ministérielle, c'est qu'il n'y a plus de liberté. » Ce mot est né sans doute du décalage ressenti entre le caractère traditionnel des élections et la stabilité insolite du ministère. Mais pour que les élections se fassent dans l'esprit de la Constitution, il faut d'abord assurer la stabilité ministérielle : on ne peut commencer à la fois par la poule et par l' œuf. ·
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==