YVES LÉVY de la collection « Que sais-je ? » sur Les Constitutions de la France (6e éd., Paris 1959, p. 108) nous éclairera : Dans la tradition idéologique française, la République est liée à une idée fondamentale : la souveraineté du Parlement. Le terme est moins employé mais plus précis que celui de souveraineté nationale, qui ne veut rien dire parce qu'il peut s'accommoder de tous les systèmes. Il a d'ailleurs le même sens profond : le Parlement est souverain parce qu'il représente la Nation. En ce sens est républicain quiconque défend le Parlement et réclame une extension de ses prérogatives ; accroître les pouvoirs du Gouvernement et le protéger contre les Assemblées caractérise au contraire une tendance réactionnaire 2 • On se doute que pour M. Duverger les républicajns sont dans la lumière et les réactionnaires dans les ténèbres. Et si l'on rapproche cette citation de celles qu'on a faites précédemment, il apparaît que le mouvement de l'histoire fait passer le pouvoir du gouvernement au Parlement. C'est là une progression qui est un progrès, c'està-dire que la logique de l'idée justifie la logique des faits. Cependant cette logique des faits n'est pas tout à fait aussi pure que la logique de l'idée. Celle-ci passe de la monarchie absolue à la monarchie limitée, puis à l'orléanisme, enfin au parlementarisme pur. Mais dans l'histoire, le réel n'étant pas toujours rationnel - M. Duverger procède du manichéisme de la philosophie des lumières - l'action de l'obscurantisme parvient à troubler la saine logique, et c'est ainsi qu'un parlementarisme presque pur cède la place à un orléanisme intempestif. 2. Ce texte curieux date de la 3e édition de l'ouvrage (1950). On ne peut s'empêcher de le trouver en contradiction avec certaines tendances fondamentales de M. Duverger, tendances énoncées maintes fois et sous diverses formes de 1944 à aujourd'hui. En février 1944, dans la première édition de ce même opuscule, il affirmait (p. 122) : « Un renforcement de l'exécutif s'impose sans conteste, par rapport à sa situation de 1939. Nous avons montré d'ailleurs qu'il s'ébauchait ·nettement depuis 1919, et surtout depuis 1934. » Et il ajoutait : 1< Plus encore qu'un gouvernement fort, sera nécessaire un gouvernement stable. » Ce même texte se retrouve sans modification après la Libération (en 1946) dans la seconde édition (pp. 118-119). D'autre part, on rappellera qu'en 1956 M. Duverger s'est prononcé pour le régime présidentiel (que dès 1946 - op. cit., p. 120 - il envisageait avec faveur). Tout cela manifeste une prise de conscience aiguë du problème gouvernemental et trahit un souci constant de le résoudre, souci que nous n'osons, nous, qualifier de « réactionnaire ». A bien voir les choses, les études du professeur Duvergcr sur les modes de scrutin sont encore plus en contradiction avec cette conception dualiste du républicanisme parlementaire et de la réaction gouvernementale. La raison profonde de ces études est en effet la recherche d'une majorité parlementaire qui donne au gouvernement force et durée. 11 ne s'agit donc plus d'envisager les nécessités gouvernementales, encore moins d'opposer le Parlement au gouvernement : il s'agit de créer une solidarité profonde entre l'un et l'autre, de façon qu'à la lutte succède enfin l'harmonie. On a souvent l'impression que M. Duverger est déchiré entre une intelligence lucide et une dévorante passion politique. La premi~rc lui éclaire les probl~mes techniques à résoudre. La acconde le rend à ce point aveugle aux mérites de ses adveruire1 qu'il les condamne au moment mtme oti ils commençcnt à ré1oudre ce• probl~mea. Biblioteca Gino Bianco 347 A voir les choses ainsi, il n'est plus nécessaire de définir l'orléanisme en tant que concept délimité de la science politique. Au fond, le prof esseur Duverger ne sait pas bien pourquoi LouisPhilippe a été substitué à Charles X, et s'il ne le sait pas, c'est qu'il ne l'a jamais sérieusement cherché. Il semble d'ailleurs que les constitutionnalistes ne se soient jamais posé cette questionlà, qui a pourtant son intérêt. Mais quand ils se la seraient posée, sans doute n'auraient-ils pas pu la résoudre, étant assez désarmés pour expliquer les changements . de régime. Il est certes plus aisé de brosser une vue cavalière des progrès de la démocratie que de rendre compte de chaque changement et de chaque régime, c'est-à-dire d'apercevoir la spécificité de chaque situation historique. C'est pourtant par là qu'il faudrait commencer : par une étude historique qui, éclairée par la connaissance des problèmes constitutionnels, éclairerait à son tour ces problèmes. Quoi qu'il en soit, si M. Duverger ne parvient guère à définir l' orléanisme, on aperçoit cependant qu'il s'agit à ~es yeux d'un des régimes qui sont intermédiaires entre la monarchie absolue et la démocratie parlementaire. Et lorsqu'il dit que notre actuelle Constitution est un pur orléanisme, il faut entendre que sur tous les points essentiels nous allons retrouver cette mise en lisières de la démocratie qui doit caractériser l'époque où des organes démocratiques existent mais voient encore leur marche entravée par la survivance des traditions monarchiques. Or notre Constitution ne nous offre pas grandchose de ce genre. Et pour s'en convaincre il suffit de lire les analyses de M. Duverger lui- ,. meme. S'il y a un point fondamental dans l'époque où la démocratie n'a pas encore définitivement triomphé, c'est évidemment que le gouvernement dépend du monarque aussi -bien que des représentants de la nation. Sans cette double dépendance, ou bien il n'y aurait plus que démocratie, ou bien il n'y aurait plus que monarchie. Or dans La ve République M. Duverger, après avoir (p. 23) affirmé que notre régime cc ressemble trait pour trait» à l'orléanisme, écrit dix pages plus loin : cc On a repoussé l'idée que le chef de l'État pouvait révoquer le président du Conseil (... ) : c'est un trait essentiel du parlementarisme orléaniste qui est ainsi écarté». Dans l'article que notre auteur a publié au mois de mars dernier dans la Revue française de science politique la contradiction était encore plus flagrante, puisqu'un alinéa, p. 108, commençait ainsi : « Il manque cependant à la Constitution de 1958 un trait essentiel de l'orléanisme : la double responsabilité du gouvernement, à la fois devant le Parlement et devant le chef de l'État » et que les premiers mots de l'alinéa suivant sont : « En définitive, la ve République a donc tous les traits de l'orléanisme. » - •
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==