346 Le régime qu'il combat et condamne, c'est celui sous lequel nous vivons depuis l'an dernier, et qu'il définit (pp. 16-20) par les quatre « carac- , , , . . teres generaux » que vo1c1 : I. le rôle du chef de l'État et le caractère orléaniste ; 2. l'effort de rationalisation du rôle des assemblées, qui aboutit à placer le Parlement dans une situation inférieure; 3. le mélange de parlementarisme et- de séparation des pouvoirs ; 4. l'influence donnée aux notables ruraux et la méfiance à l'égard du suffrage universel. Tous ces traits d'ailleurs, et non pas le premier seulement, semblent pouvoir être taxés d'orléanisme : « Le système établi par la Constitution de 1958 écrit l'auteur p. 23, ressemble trait pour trait à ce que les juristes appellent le régime parlementaire orléaniste, parce qu'il a caractérisé la monarchie française de Louis - Philippe d'Orléans. » Nous trouvons du reste, pour ce qui concerne les trois derniers points des appréciations significatives. « L' orléanisme de la Constitution de 1958, lit-on p. 76, ne se traduit pas seulement par les prérogatives qu'elle accorde au chef de l'État : mais ·également par une réglementation étroite de la vie parlementaire et un strict contrôle du Gouvernement_ sur elle, qui rappellent aussi la Monarchie de juillet, et plus encore la Restauration. » Et voici un passage (p. 94) qui concerne spécifiquement le quatrième point : « Le caractère orléaniste de la ve République ne lui vient point seulement des prérogatives qu'elle reconnaît au chef de l'État, mais aussi des efforts qu'elle fait pour établir un régime basé sur les " notables ruraux ". » Qu'est-ce donc que cet orléanisme qui est, selon notre auteur, l'âme à peine dissimulée de notre nouvelle Constitution ? Bien que M. Duverger en parle comme de quelque chose de bien connu, il y a lieu de se demander si lui-même sait vraiment de .quoi il s'agit. A vrai dire; il n'est pas aisé de définir avec rigueur un tel concept, dont le nom même souligne l'ambiguïté, le radical indiquant le caractère historique de ce que la terminaison veut placer au rang des catégories théoriques.· Au cours de l'ouvrage, l'auteur propose des définitions variées et qui ne concordent pas t.out à fait entre elles. P. 17, l'orléanisme est « une certaine phase dans l'évolution du parlementarisme, intermédiaire entre la monarchie limitée et le régime parlementaire classique, dont la Charte de 1830 et Louis-Philippe d'Orléans fournissent un très bon exemple». Ici l'histoire et la théorie _s'étayent sans s'éclairer parfaitement. La « monarchie limitée » qui a précédé l' orléanisme, n'est-ce pas le régime de la Restauration ? Mais d'une part nous avons vu que certains traits de notre régime actuel rappelleraient, selon l'auteur, plus encore la Restauration que la Monarchie de Juillet. Et d'autre part la Charte de 1830 - le professeur Duverger le sait bien puisque c'est lui qu'on va citer ici - (< diffère Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL peu de celle de 1814. Il s'agit d'un changement de dynastie plutôt que de régime» (Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris 1955, p. 425). Ailleurs, p. 189, M. Duverger écrit que « la théorie de l' orléanisme a été faite par Benjamin · Constant dans ses Principes de politique applicables à tous les Gouvernementsreprésentatifs, 1815 ». Complétons le titre de cet ouvrage : « ••• et particulièrement à la constitutionactuelle de la France, par M. Beniamin Constant, conseiller d'État ». Et bien que ce qui précède soit suffisant, complétons aussi la date qui figure sur le titre de l'ouvrage. En ce temps-là on avait assez le sentiment du provisoire pour ne pas négliger d'indiquer le mois de la publication. En l'espèce il s'agit du mois de mai. Nous vivons les CentJours. La « Constitution actuelle de la France » vient d'être promulguée -le 22 avril précédent : c'est l' Acte additionnel, dont le rédacteur est précisément Benjamin Constant, et qui donc, mieux qu'aucun texte constitutionnel, est un exemple d' orléanisme. Mais alors, où trouverons-nous la « monarchie limitée» qui a précédé ? II, est malaisé de le conjecturer. Et pourtant il a bien fallu qu'elle existe puisque, p. 176, l'auteur revient en des termes un peu différents sur le caractère intermédiaire du régime orléaniste : Système de transition entre une séparation des pouvoirs où le chef de l'État joue un rôle décisif, et un parlementarisme classique où il est effacé, ce régime oscille entre l'un et l'autre, en équilibre sur une crête aiguë, sur un fil de rasoir, perpétuellement menacé de tomber de l'un ou de l'autre côté. Ici, la définition théorique se précise par réfé- -rence au rôle du chef de l'État, et l'on voit clairement que ce qui vient après l'orléanisme, c'est la pratique constitutionnelle de la IIIe République postérieurement au Seize-Mai. En revanche, ce qui a précédé l' orléanisme n'est pas devenu plus clair, car il semble bien que l'auteur pense à la Restauration. Or la Charte de 1814 ne donne pas au roi des pouvoirs différents de ceux que définira la Charte de 1830. L'orléanisme n'est pas un concept de la science politique, c'est une insaisissable vue de l'esprit. Du moins sous la forme où il est défini ici. * )f )f I NE PEUT-ON cependant conserver certains traits par où le professeur Duverger définit l'orléanisme, afin de voir si ce pseudoconcept a, quelque rapport avec notre ve République ? Sans doute. Et l'on peut même faire mieux. On peut dire ce qu'est ici l' orléanisme, c'est-à-dire non pas ce qu'est l'orléanisme en lui-même (nous tenterons de le faire prochainement),\ mais ce qu'est l'orléani-sme pour notre auteur. Un passage de son opuscule :
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