Le Contrat Social - anno III - n. 6 - novembre 1959

• DE L'ORLÉANISME par Yves Lévy ES ÉVÉNEMENTS de l'an dernier ont obligé à ajouter mi régime à la partie historique de nos traités de droit constitutionnel, et à rédiger à neuf la description du régime en vigueur. Cette description nouvelle, les édi- . teurs de Maurice Duverger en ont fait un tirage à part qui, intitulé La ve République 1 , forme un volume de plus de trois cents pages. Ce volume est destiné au grand public, mais c'est dans l'œuvre dont il est tiré que nos futurs juristes apprendront ce qu'est une Constitution et ce que vaut celle qui nous régit. Cela donne à ces pages une singulière importance. ~ Les profanes s'imaginent sans doute que le droit constitutionnel est une discipline austère, pratiquée par des savants imbus d'esprit juridique et étrangers aux passions du siècle. 11 est rare qu'il en soit ainsi. Les professeurs de droit constitutionnel ont en général l'esprit juridique (c'està-dire qu'ils s'efforcent de définir un univers juridique et de lui imposer une certaine cohérence), mais c'est à peine s'ils ont idée de ce qu'est l'esprit scientifique. Quant aux passions politiques, elles sont fréquentes chez eux. Mais il n'est pas fréquent qu'elles orientent la réflexion autant qu'elles le font chez M. Duverger. Celuici n'est cependant pas sans excuse, car il semble bien que le droit constitutionnel appartienne encore au royaume de l'opinion, non à celui de la science. On ne peut songer à dire ici ce que serait une recherche strictement scientifique en matière de droit constitutionnel. Du moins apparaît-il qu'il faudrait se tenir sur le terrain constitutionnel, tenter de définir un univers constitutionnel dont on ne sortirait pas. Et comme on ne peut guère éviter les références à des faits et à des notions qu'on n'a pas l'habitude de considérer sous 1. Paria 19S9, Presses Universitaires de France, • Biblioteca Gino Bianco · l'aspect constitutionnel, il conviendrait de n'utiliser ces faits et notions qu'avec d'extrêmes précautions, et en prenant soin de les transf armer aussitôt en matière constitutionnelle. Par exemple on devrait, si l'on tient compte de faits de l'histoire politique ou de notions morales, ne les considérer que comme des rouages de la mécanique ou de la physiologie constitutionnelles. Dans cet univers scientifique, l'action de tel ou tel personnage ne ferait plus l'objet d'un jugement moral ou d'un examen psychologique, mais d'un jugement constitutionnel. Citons un exemple. M. Duverger écrit, p. 47, à propos de l'article 16 de notre actuelle Constitution : Même pourvus des pouvoirs exceptionnels de l'article r6, les derniers Présidents de la IIIe et de la IVe Républiques n'eussent point endigué le flot de veulerie et de lâcheté qui les entourait de toutes parts. L'auteur, ici, se fait historien et psychologue, voire moraliste. Un constitutionnaliste conséquent eût remâché cette veulerie, cette lâcheté jusqu'à ce qu'elles se fussent muées en matière constitutionnelle. Ces traits psychologiques que le professeur Du verger met en relief chez les hommes fus sent alors apparus en creux dans le moule constitutionnel. Et l'homme de science eût prononcé ou bien que le système constitutionnel écartait du pouvoir les hommes de cœur, ou bien qu'il les avilissait, et peut-être l'un et l'autre. Le professeur Duverger, lui, ne transforme pas sa matière première historique en matière constitutionnelle, car il est constitutionnaliste de métier, non d'esprit. Et nous apercevons que ce qu'il cherche, ce n'est pas à définir scientifiquement des systèmes constitutionnels, mais à défendre tel régime (et il devient alors historien et psychologue : les hommes et les événements sont responsables des maux qui surviennent, non le système), à combattre tel autre régime. •

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