Le Contrat Social - anno III - n. 6 - novembre 1959

J. CARMICHAEL tique évoquée dans ces pays par la façon dont l'Union soviétique, pays autrefois agraire et retardataire, a réussi à se transformer en une seule génération en super-puissance à l'échelle mondiale ; et, chose plus importante encore, le caractère attirant du complexe institutionnel soviétique non seulement par ce qu'il semble offrir aux « masses appauvries » du Moyen-Orient qui aspirent à une vie meilleure (cliché d'ailleurs assez vide de sens), mais plus particulièrement par ce qu'il suggère à la jeune intelligentsia agitée et inquiète qui se trouve désormais au premier plan dans l'ensemble du monde autrefois colonial ou semi-colonial. Les officiers, les étudiants et les travailleurs à col blanc qui constituent les centres effectifs de l'agitation politique dans tous les pays d'Afrique et d'Asie y occupent une position beaucoup plus importante que leurs collègues de l'Occident industriel. Or, ce sont précisément ces groupes qui se sont montrés le plus sensibles au déplacement de l'équilibre de puissance entre l'Ouest et le bloc soviétique - phénomène saisi dans la perspective de leurs propres pays, lesquels ont un besoin illimité de transformation sociale et , . econom1que. Tout le problème du choc produit par l'URSS sur les pays ex-coloniaux doit donc être considéré du point de vue des tentations fonctionnelles que le régime soviétique offre aux nouveaux dirigeants nationaux. Le complexe institutionnel soviétique leur donne l'exemple de techniques 9-dministratives concrètes capables de réaliser les transformations réclamées par leurs propres partisans, tout en permettant à ces chefs de manipuler leur clientèle au moyen d'un appareil de propagande de parti, lequel fournit aussi bien des _instruments opératoires qu'un déguisement idéologique. De plus, il y a lieu de souligner que rien de cela n'implique l'existence d'une contradiction cynique ou profondément enracinée entre les idées politiques des jeunes dirigeants nationaux et la théorie communiste, même dans sa forme la plus idéale. L'Occident a tendance à oublier que si les doctrines et institutions politiques élaborées ~n Europe se sont répan'dues à travers le monde, la Révolution française elle-même - dont elles dérivent toutes quant au fond, sinon toujours consciemment - n'a place dans aucune des traditions non européennes. L'absence, hors d'Europe, de ce point de référence fait que les conceptions politiques et sociologiques occidentales sont assimilées d'une façon plutôt diffuse par les non-Européens, qui manquent à cet égard du sens des proportions. · Une intelligentsia en fermentation C'EST cette absence de boussole historique qui a placé l'intelligentsia des pays de langue arabe et autres réj~ons ex-coloniales sur un terrain si glissant. raison de sa culture assez Biblioteca Gino Bianco 343 superficielle, ladite intelligentsia se trouve devant un étonnant chaos d'idées, de doctrines, d'institutions et de principes d'organisation. Alors que les jeunes intellectuels d'Occide11t, élevés dans un milieu sociologique particulier, où certaines idées sont modernes et d'autres cc vieux jeu», réagissent de façon plus ou moins instinctive, leurs collègues d'Asie et d'Afrique - qui reçoivent, pour ainsi dire, des traductions simultanées d'une foule d'idées politiques occidentales - sont obligés de faire un tri parmi elles. Cela implique un certain effet égalisateur sur la présentation des idées offertes à la génération montante de l'intelligentsia afro-asiatique. Celle-ci doit nécessairement réagir en fonction des particularités de sa propre culture, en même temps qu'elle doit s'adapter tant bien que mal à chacune des idées nouvelles, considérées avant tout comme une importation inévitable. Dans ce sens, le communisme est une importation ni plus ni moins étonnante que ce que les Occidentaux croient être la bonne vieille démocratie : celle-ci comme celui-là sont des notions plus ou moins étrangères pour les intellectuels afro-asiatiques, et il est inévitable qu'ils y réagissent selon les particularités du climat local. C'est pourquoi la souplesse, même théorique (et qui s'applique aussi à la théorie traditionnelle de l'islam), de l'adaptation au régime soviétique, prend une importance décisive pour les régimes du Moyen-Orient qui se préparent à résoudre leurs 4ivers problèmes nationaux. 1'""oute discussion du caractère prétendument irréconciliable de l'islam et du communisme est oiseuse, pour la bonne raison qu'une société en voie de transformation ne peut que choisir impitoyablement ce dont elle a besoin pour sa rénovation sociale, quitte à trouver à so11_cl1oix une justification. Points de friction, points de contact IL SEMBLE donc erroné d'étudier le développement politique de l'ensemble du Moyen-Orient selon des critères tels que l'orientation théorique ou les intérêts des dirigeants pris séparément. On aurait tort d'imaginer qu'aucun de ces dirigean~s ait eu le temps, ou même le' désir, de s'adonner, au cours des dix dernières années, à la méditation politique abstraite. Le développement du Moyen-Orient, quoiqu'il se soit produit à un rythme fort inégal, ne manque pas de dynamisme; si tel ou tel leader se mettait à agir en fonction d'une doctrine qui paraisse entraver la marche générale de l'évolution institutionnelle, d'autres individus surgiraient aussitôt pour éliminer le «traître» au nom de quelqu nouvelle formulation pseudo-idéologique. La dynamique des événements du MoyenOrient ne fait que faciliter les rivalités coutu- · mières entre cliques et la lutte des individus pour le pouvoir. Car quel que soit le rôle que tel ch f semble jouer sur l'avant-scène, il n faut pa, • •

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