Le Contrat Social - anno III - n. 6 - novembre 1959

342 L'interprétation des intérêts de l'État soviétique est une autre affaire. C'est en effet à travers elle que l'on perçoit le mieux la distance qui sépare de la doctrine communiste la dynamique fonctionnelle de la politique soviétique. En présence d'une décision politique donnée, ce sont les intérêts matériels du régime qui l'ont inspirée qui sont mis en avant - tout cela bien sûr enrobé dans un jargon qui résume les survivances mythologiques du passé à même de trouver un écho dans la foi des masses. Faute de saisir ce fait primordial, nombreux sont les observateurs déroutés par les mobiles du régime. Il existe une tendance inhérente à accepter les rationalisations sur leur bonne mine, qui peut chez les savants tourner à la maladie professionnelle. Cela même lorsque les postulats de départ ne se vérifient pas : en l'espèce, beaucoup tiennent le point de départ pour assuré, même s'ils sont en désaccord avec les conclusions que les stratèges soviétiques ont tiré des prémisses théoriques. Ainsi, l'importance des explications doctrinaires de la politique soviétique se trouve être souvent grossie au détriment d'une explication plus fonctionnelle ou matérialiste, fondée sur des intérêts pratiques dont on peut discerner également (ou non) l'existence. Réalités de la << Realpolitik >> SUR! LE(PLAN PRATIQUE, tout se réduit à ceci : l'Union soviétique peut, par exemple, conclure des alliances avec d'autres puissances dans des conditions qui risquent de paraître, aux yeux des profanes, comme « contraires aux principes ». En effet, en tendant à ses buts tactiques, le régime soviétique, en dépit de la rigidité de doctrine qu'il affiche, a fait preuve invariablement d'une souplesse qui lui a permis de s'adapter à toutes les réalités du monde non soviétique. Cela est déjà vrai de la période où le parti bolchévique était encore dominé par des hommes à l'esprit théorique. En signant le traité de Brest-Litovsk avec les armées allemandes, le régime soviétique, aux prises poui: la première fois avec les réalités de la politique de puissance, montrait sa capacité de céder dans un cas de force majeure tout en se couvrant d'un prétexte idéologique. Depuis lors, le procédé est entré de plus en plus dans les habitudes des dir~geants soviétiques. Ainsi, malgré la répugnance de l'opinion occidentale à jauger de façon réaliste les possibilités de collaboration entre le bloc soviétique et · le mouvement nationaliste arabe, les conditions préalables d'une telle collaboration existaient déjà depuis quelque temps. L'ensemble des institutions de base du système soviétique semblait correspondre exactement aux nécessités les plus pressantes des régimes nouveaux installés dans les pays sous-développés du Moyen-Orient ; ces nécessités n'avaient bien entendu rien à voir avec aucune doctrine abstraite. D'autre part, Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL l'attitude du Kremlin à l'égard de l'idéologie était devenue de plus en plus flexible, à mesure que l'intérêt que Moscou portait à la théorie en tant que telle cédait le pas au désir de trouver des solutions pratiques .. En d'autres termes, la « théorie » qui inspirait la pratique soviétique devint assez souple pour pouvoir justifier n'importe quelle entreprise tactique par le recours à tel principe ou à tel autre. Il n'est donc pas surprenant de constater que cette même flexibilité qui permit aux dirigeants soviétiques de conclure le pacte de 1939 avec les nazis leur permet de nouveau de nouer des relations avec le Moyen-Orient. L'illustration la plus frappante de l'évolution de la tactique soviétique se trouve sans doute dans la différence entre l'attitude actuelle de Moscou à l'égard des nouveaux régimes dans les pays de langue arabe et sa tentative, il y a dix ans, de transformer l'Iran en une « démocratie populaire » par voie de subversion interne. En 1945-46, les Russes essayèrent d'utiliser à leurs fins le parti Toudeh - mouvement de masse plus ou moins authentique - pour créer en Iran un régime satellite. A cette époque, l'Union soviétique sortait très affaiblie de la guerre et largement distancée sur le plan économique et militaire par les États-Unis : ceux-ci disposaient alors de moyens nucléaires en toute exclusivité, sans compter leurs ressources militaires classiques qui restaient considérables. De plus, la situation en Iran même différait radicalement de celle des pays d'Europe orientale, où la satellisation se développait avec succès. Dans ces pays, des , . ., . . ., . regunes sov1et1ques ou quasi sov1et1ques pouvaient être établis sur la base d'un prolétariat mécontent, de certains éléments malléables de l'intelligentsia et jusqu'à un certain point du paysannat, alors que cette base était absente en Iran, pays de caractère agraire et primitif. Pardessus tout, le facteur décisif dans la transf ormation de l'Europe orientale en satellites consistait dans la présence effective de l'Armée rouge. Tel n'était pas le cas de l'Iran; quoique évidemment incapable de résister à une intervention armée sur sa frontière septentrionale, l'Iran était garanti contre pareille éventualité par l'équilibre mondial des puissances. Néanmoins, malgré .la prof onde différence des situations, les ·dirigeants soviétiques d'après guerre tentèrent d'appliquer en Iran la même tactique qu'en Europe orientale, et durent finalement battre en retraite sous la pression d'une intransigeance américaine explicitement ·manifestée. Depuis lors, l'Union soviétique a acquis une position infiniment plus puissante sur la scène internationale, et a découvert en conséquence qu'elle n'avait même plus besoin de régimes franchement prosoviétiques. Non seulement elle peut agir à· l'égard des pays sous-développés sur le plan normal de la politique de puissance, mais elle peut aussi tirer profit de deux ·traits qui lui sont particuliers. Tout d'abord la my~- ..

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==