Le Contrat Social - anno III - n. 6 - novembre 1959

336 Mais quelle qu'en ait été l'inspiration, ce système ne paraissait aux Africains qu'une survivance choquante du système impérialiste et de la notion de supériorité raciale des Européens. · Beaucoup plus néfaste encore fut l'insistance inflexible des communistes pour qui, jusqu'en I 949, la lutte pour la libération nationale des peuples coloniaux devait être menée uniquement sous la direction du prolétariat, celui-ci pouvant parfois s'allier avec le paysannat et la petite bourgeoisie nationale, mais en aucun cas avec la bourgeoisie nationale, dont les dirigeants étaient accusés d'être à la solde des impérialistes.· Cette position doctrinale fut quelque peu tempérée quand l'URSS adopta, en 1949, la ligne stratégique dite « néo-maoïste ». Au lieu d'une alliance de trois classes, la nouvelle ligne prévoyait un front national plus large comprenant les éléments de la bourgeoisie nationale opposés à l'impéria.:. lisme. D'autre part, elle maintenait fermement que la classe ouvrière, sous la direction du P.C., doit jouer le « rôle de chef reconnu de la révolution coloniale » 12 • Pour de nombreuses raisons, la stratégie néomaoïste ne convenait guère mieux que la précédente aux conditions africaines. Le prolétariat comme classe distincte n'existait virtuellement pas, sauf en Afrique du Sud ; le paysan africain, à l'exception de l'ouvrier des plantations, était politiquement inerte et restait attaché· aux cou..; turnes tribales ; la classe moyenne urbaine (petite bourgeoisie) était généralement peu nombreuse et composée en partie de gens de race asiatique, donc séparés du reste de la population. Ainsi les trois principales composantes du front national néo-maoïste étaient pratiqueme11t absentes · en Afrique ; c'était l'intelligentsia - généralement identifiée par les communistes à la bourgeoisie nationale - qui formait en fait le noyau des mouvements nationalistes et ·leur fournissait des chefs. La question de la direction demeurait par , conséquent un problème fondamental dans la stratégie néo-maoïste, laquelle concédait que des éléments de la bourgeoisie nationale pourraient être admis au front national, mais seulement sous la direction de la classe ouvrière (c'est-àdire des communistes). Ainsi, un. spécialiste soviétique reconnaissait francheme1:1t au début de 1950 que « le rôle dirigeant dans les mouve1nents de libération nationale de la majorité des colonies d'Afrique tropicale et 1néridionale appartient aujourd'hui à la bourgeoisie et à l'intelligentsia nationales ». Il ajoutait toutefois que la bourgeoisie nationale avait ses points faibles et que, pour la victoire finale, « la seule force capable de soulever et de diriger le peuple (...) était la classe ouvrière )) 13 . D'autres auteurs soviétiques 12. E. Joukov : « Problèmes d.:! la lutte nationale dans les colonies depuis la deuxième guerre mondiale ». in revue. Problèmes d'économique, Moscou 1949, n° 9, p. 55. · · · .. : .". 13. I. Potekhine : « La théorie stalinienne ... »,.· p. 35'.· Biblioteca Gino -Bianco LE CONTRAT SOCIAL étaient beaucoup plus explicites et avouaient que Moscou n'avait pas l'intention d'abandonner la direction. des mouvements d'indépendance africains à la bourgeoisie nationale. « La classe ouvrière et son avant-garde, les partis communistes, pouvait-on lire, (... ) luttent pour prendre la direction du mouvement et évincer la bourgeoisie nationale » 14 • Nouvelle attitude L'ANNÉE 1955 marqua dans la politique afroasiatique de l'URSS un tournant d'une portée bien plus considérable que l'adoption de la stratégie néo-maoïste. Après examen critique de leurs erreurs de calcul, les successeurs de Staline commencèrent à réviser de fond en comble leur stratégie et leur propagande à l'égard des jeunes États indépendants et des mouvements de libération à direction nationaliste en Asie et en Afrique : il s'agissait de les rendre plus réalistes et mieux adaptées aux conditions nouvelles - et qui continuaient d'évoluer rapidement - dans , . ces reg1ons. La propagande anti-impérialiste demeure, bien entendu, mais elle a été remaniée de façon à pouvoir s'appliquer aussi aux pays qui ont déjà accédé à l'indépendance ou qui sont eµ passe d'y accéder. A cet effet, l'accent est mis sur le thème selon lequel l'exploitation économique impérialiste ne prend pas fin avec la simple accession à la souveraineté politique : Un peuple ne peut être libre si les principales ressources économiques de son· pays servent non pas à l'enrichir mais à enrichir des monopoles étrangers. Il ne peut être libre si son économie - faussée par des années de domination impérialiste - est à ce point dominée par deux ou trois sociétés étrangères que celles-ci sont à tout moment en mesure d'exercer une pression irrésistible sur son gouvernement 15 .- ~ . ~ La nouvelle stratégie révèle aussi d'importants changements. Elle abandonne la vieille formule : « Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous. »· Elle reconnaît que la_ lutte pour l'indépendance ne doit pas nécessairement être menée sous la conduite de la classe ouvrière, mais peut en ·fait être dirigée par la bourgeoisie nationale, naguère suspectée et même dénoncée. Ainsi les dirigeants des États africains indépendants - le président Tubman du Libéria, le Dr Nkrumah, premier ministre du Ghana, et même l'empereur Haïlé Sélassié d'Éthiopie - de même que des chefs nationalistes tels que le Dr Azikiwé en Nigeria, ne sont plus stigmatisés comme _« valets de l'impérialisII1e », mai~ ~raités en amis et colla- , . . 14. V. Vassilieva : « Les peuples africains dans la lutte pour la paix et la fiberté » in revue Problèmes d'économique, 0 . 1952, n r, p. 102. · 15. Derek Kartum : Africa, Africa ! A Continent Rises io its Feet, New York r954, p. 59.

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