Le Contrat Social - anno III - n. 6 - novembre 1959

334 tresse de la bourgeoisie nationale à la solde des impérialistes. D'autre part, la thèse qui prévaut en Occident au sujet des facteurs qui déterminent les perspectives du communisme en Afrique se reflète dans le passage suivant d'une étude anglaise sur le nationalisme africain publiée en 1956 : · Le communisme n'est pas encore une force effective dans les mouvements nationaux africains, dont la direction est à prédominance petite-bourgeoise, tant par l'origine sociale que par les conceptions. En AfriqueOccidentale Française, au Cameroun français et au ' Soudan les idées marxistes et les groupes communistes ont quelque influence, surtout dans les mouvements syndicalistes - mais pas ailleurs. Il existe pourtant sans aucun doute dans la situation africaine des facteurs qui pourraient contribuer à la croissance du com- •munisme en tant que force organisée : prolétarisation croissante, soif de terres, différenciation économique parmi le paysannat, absence de moyens constitutionnels pour l'agitation nationaliste, répression militaire et policière, corruption ... 8 • Si l'explication communiste se passe de commentaire, les vues que nous venons de citer méritent d'être examinées de plus près. Cette jnterprétation occidentale, fort répandue, qui rattache entièrement l'échec du communisme ou son succès éventuel à l'économie et aux antagopismes de classe, n'explique pas vraiment l'impuissance relative des communistes en Afrique. En effet, la plupart des facteurs cités comme favorables à la croissance du communisme existaient déjà dans le passé, sans cependant l'alimenter; pourquoi le feraient-ils à l'avenir, alors qu'un _des principaux griefs des peuples africains, la domination coloniale, aura progressivement disparu ? Le problème fondamental poµr les comm11nistes n'est toujours pas d'exploiter efficacement les griefs économiques et sociaux, mais plutôt de trouver un moyen d'identifier le communisme et sa philosophie aux aspirations du nationalisme africain. Communisme et nationalisme _Certains facteurs paraissent favorables aux efforts que les communistes font dans ce sens. La plupart des dirigeants politiques africains ont été:, à un moment de leur carrière, fortement influencés par les idées marxistes ; certains avaient même adhéré au mouvement communiste. Rien d'étonnant à cela, étant donné la formation d'esprit européenne de beaucoup d'entre eux. Au cours de leurs études à la School of Economies de Londres ou dans une autre université d'Europe occidentale, ils furent impressionnés par les réponses rapides et concluantes que l'argumen.:_ tation _ communiste fournissait aux problèmes d,une petite élite nationale à la recherche de _ 8. Thomas Hodgkin Nationalism in Colonial Africa, Londres 1956, p. 188. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL l'indépendance et de la grandeur pour son peuple. Cette attraction dynamique fut renforcée par le fait que l'Africain se voyait p~us.volo~tiers acc~pté socialement dans les groupes d or1entat1onmarxiste. Ces dernières années, ces influences ont été multipliées par suite du nombre croissant d' Africains qui fréquentent les universités de l'Europe de l'Est. De retour chez lui, l'Africain d'éducation européenne se trouvait devant un dilemme : ou bien se mettre au service du gouvernement colonial, ou bien accepter l'un des rares emplois vacants dans l'Université ou dans les professions libérales. Éventuellement, il entrait dans l'étatmajor des organisations syndicales ou politiques indigènes. Dans le premier cas, il se trouvait sous l'influence prédominante de la tradition de l'administration française ou anglaise; pourtant, à l'exception de l'Afrique occidentale anglaise, le nombre d' Africains admis dans l'administration était faible, les postes les plus importants étant réservés aux Européens. Dans le deuxième cas, il avait plus de chances de continuer à subir les influences socialistes ou communistes, particulièrement en Afrique-Occidentale Française, où les communistes dominaient le mouvement syndical et, du moins jusqu'en 1950, étaient soli-_ dement installés dans le R.D.A. Depuis la deuxième guerre mondialç, les influences socialistes-communistes et libéralesdémocratiques qui se disputaient la pensée africaine ont été cependant éçlipsées par la force bien plus grande du nationalisme. Celui-ci est devenu le point de départ fondamental de la pensée politique africaine. Aussi le succès de tout mouvement politique en Afrique, qu'il soit comm11niste, socialiste ou libéral-démocratique, dépend-il de sa relation au nationalisme, c'està-dire de sa capacité à contenir cette force omniprésente dans la vie africaine ou à composer avec elle. · Les communistes semblent se trouver à cet égard ·dans une situation particulièrement avantageuse. D'une part, le nationalisme africain a pour dirigeants surtout des chefs des groupes syndicalistes où les influences communiste et socialiste sont fortes. D'autre part, les avantages apparents du communisme pour les pays sousdéveloppés en tant que système permettant une croissance ·économiqq.e accélérée le rendent fort attrayant aux yeux des nationalistes africains qui voient dans un progrès matériel rapide une panacée contre tous les maux de l'Afrique, et pour qui « rattraper » économiquement est devenu un slogan, tout autant que dans le bloc soviétique. De plus, le nationalisme africain n'a -guère ce côté_spiritu_el qui caractérise certains mouvements nationalistes de l'Asie du Sud : il est plutôt calqué sur-le nationalisme arabe, qui s'est montré vulnérable aux incursions communistes. Enfin, de nombreux dirigeants africains sont sensibles aux qualités d'organisation et à l'autoritarisme du système communiste.

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