Le Contrat Social - anno III - n. 6 - novembre 1959

328 léninisme·» (Schwartz : Chinese Communism and . the Rise of Mao, pp. 191 et 199; cf. aussi p. 78). Ce sont là des affirmations étonnantes. Tout spécialiste sérieux sait que Lénine distinguait plusieurs types de révolutions bourgeoises-démocratiques et qu'après la révolution bolchévique de 1917 il élabora un nouveau type de politique paysanne destiné aux pays coloniaux et semicoloniaux « arriérés » de l'Orient. Par contraste avec la Russie tsariste où une minorité proléta ... rienne pouvait assumer la direction du mouvement révolutionnaire, les communistes des régions orientales « arriérées » devraient, avec l'aide de Moscou, appuyer leur stratégie sur les paysans ou autres « travailleurs » non prolétariens, si le soutien prolétarien n'existait pas. En 1920, Lénine indiqua que la nouvelle politique qu'il traçait était fondée sur une expérience limitée ; et de manière très logique il insista sur la nécessité d'organiser des soviets révolutionnaires. Mais il ne se contenta pas de « spéculer » - comme le remarque Schwartz en passant - sur la possibilité de soviets à direction communiste dans les régions non industrielles. Loin de là. Par suite de l'expérience bolchévique en Asie centrale, il tenait pour acquis qu'on pouvait établir avec succès des soviets de paysans ou de travailleurs dans les pays coloniaux « arriérés » ; et il conseillait de le faire si les conditions s'y prêtaient : dans les pays coloniaux non capitalistes de l'Orient, « les soviets sont possibles (...) ce ne seront pas des soviets d'ouvriers, mais de paysans ou de travailleurs » (Lénine : Œuvres choisies, New York 1943, X, p. 198 ; cf. pp. 236, 241, 242, 243 sqq.; cf. aussi p. 231). La thèse de Lénine fut reprise avec vigueur par des dignitaires importants du Komintern tels que Zinoviev, G. I. Safarov et Bela Kun. Si en février 1926 les dirigeants du Komitem ne lancèrent pas le mot d'ordre des soviets, ils allèrent bien plus loin que Mao, qui ne prêtait aux paysans que 70 pour cent de toutes les conquêtes de la révolution démocratique chinoise. Ils qualifièrent les paysans de <<facteuprrimordial et décisif du mouvement chinois de libération nationale » (International Press Correspondence, 1926, p. 649. C'est nous qui soulignons). Dans l'édition remaniée de ses Œuvres choisies parue au début des années 50, Mao élimina la formule des 70 pour cent, trop modeste à ses yeux. Les champions de la thèse maoïste suggèrent qu'il le fit parce que, rétrospectivement, il la jugeait trop ambitieuse. L'arbitraire de cette interprétation apparaît comme flagrant lorsqu'on se rappelle l'attitude du Komintern en 1926-27 et une déclaration ultérieure de Mao où, d'ailleurs, il invoque l'autorité de Staline : « La révolution chinoise est virtuellement la révolution des paysans. »Non pas 70 pour cent, mais « virtuellement ». Lénine n'avait pas prévu la complexité de la suite des événements dans de grands pays coloiµaux ou ex-coloniaux comme la Chine et l'Inde ; il n'avait pas envisagé que les communistes pussent Biblioteca Gino Bianco , LE CONTRAT SOCIAL s'emparer du pouvoir dans les régions non industrielles d'un pays doté de zones industriellement avancées; et, bien entendu, il n'avait pas non plus prévu les changements d'interprétation du mot d'ordre des « soviets paysans » qui eurent lieu en URSS en 1926-27. La substance de ses directives de 1920 n'en demeure pas moins fort claire, et très proche de la prétendue position « maoïste » : dans les régions non industrielles de l'Orient «arriéré», les communistes doivent s'efforcer de s'emparer du pouvoir en s'appuyant sur les masses, composées essentiellement de paysans ou autres « travailleurs » non prolétariens. Il est dès lors évident ·que les auteurs de l' Histoire documentaire sont dans l'erreur quand ils prétendent que Lénine rejetait pour l'Orient l'idée d'une révolution démocratique à direction communiste fondée sur les paysans pauvres. Ils se trompent également dans leur interprétation de la position de Mao en 1927. En février 1927, Mao ne recommandait pas la politique révolutionnaire que nous venons d'esquisser, et cela pour de bonnes raisons. Son rapport sur le Hounan fut rédigé à une époque où les communistes chinois formaient un front comm.un avec le Kuomintang et, suivant les ordres de Moscou, mettaient tout en œuvre pour que cette collaboration se prolongeât. Mao, alors haut dignitaire du Kuomintang (et bien entendu du P. C. ), mettait l'accent sur le rôle dirigeant des paysans pauvres dans la révolution rurale et l'importance des paysans (70 pour cent) dans la révolution nationale, sous une hiérarchie ayant à sa tête les « autorités révolutionnaires » : il faut entendre par là le gouvernement nationaliste révolutionnaire qui, héritier du régime de Canton de Sun · Yat-sen, était dominé par la gauche du Kuomintang et soutenu par les communistes. Les auteurs de l' Histoire documentaire, qui considèrent le rapport de Mao sur le Hounan comme un « classique révolutionnaire », ne présentent qu'un tiers (les deux premières parties) de ce document sans indiquer que le texte original est beaucoup plus long. Or même ce tiers indique clairement que Mao commente la politique paysanne du gouvernement. nationaliste révolution- .naire. ~lus loin, dans un chapitre consacré aux organisations révolutionnaires locales, un seul parti est mentionné : le Kuomintang. Lorsqu'il est question des deux partis, Mao place le Kuomintang avant le parti communiste. Conformément à la politique de front commun imposée par Moscou, les versions ·antérieures de son rapport ne parlent pas du rôle dirigeant du parti communiste. Fait significatif, les quelques passages où ce rôle est revendiqué apparaissent pour la première fois, dans la version remaniée du p~emier .volume de ses Œuvres choisies publié en 1951. Ainsi le rapport sur le Hounan ne revendiquait pas le leadership communiste, ·pas plus ·qu'il ne cherchait à rallier. les paysans pauvres autour des promesses de terres. Se conformant . à la ligne du

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