Le Contrat Social - anno III - n. 3 - maggio 1959

180 La tactique peut être aussi un morceau· de la stratégie découpée en tranches pour être plus facilement avalée dans son entier par l'ennemi sans l'alerter trop tôt. A cette tactique le Parti a donné le nom de « tactique du salami ». Quand on avale la dernière tranche de ce que l'on croyait être une couleuvre, on s'aperçoit que l'on a avalé un serpent à sonnettes, mais il est trop tard (p. 48). A Erfurt, en Allemagne, où les communistes étaient réunis pour décider de l'attitude à adopter vis-à-vis de la religion sur le plan mondial, Lénine nous donna, dans sa réponse, un exemple remarquable de stratégie et de tactique (pp. 52-53). Il y a onze ans, la malheureuse Hongrie qui avait donné 87 % de ses voix catholiques, sans chars russes sur son territoire, a vu quatre mois plus tard, en soixantedouze heures, la terrible tyrannie du Parti s'abattre sur elle, tant il est vrai qu'une minorité agissante, mouvement révolutionnaire au service d'une théorie révolutionnaire avec une pédagogie révolutionnaire, a toujours raison dans l'histoire d'une masse amorphe, même si cette masse amorphe a trois cents fois la raison avec elle (p. 57). On n'invente pas des trouvailles de ce calibre : Lénine archiviste, son musée à Paris, son disciple Cachin en 1912, la terrible loi de contradiction, la force majoritaire du trotskisme, les menchéviks identifiés aux koulaks, Cachin professeur de Mao, un salami qui passe pour une couleuvre et qui est en réalité un serpent à sonnettes, Lénine à Erfurt et tout le reste, cela défie évidemment tout comment~re. Après sa magistrale description du communisme, de son histoire et de sa nature, l'auteur amoncelle pêle-mêle en 140 pages des citations de Lénine, de Staline, en alternance avec Marx et Thorez. Vient ensuite le dernier chapitre « Pour conclure » où l'auteur_ s'extasie sur son œuvre propre : En terminant ces pages, j'ai l'impression d'être à la tribune, en fin de réunion publique. Les auditeurs sont tout à la fois impressionnés par l'effroyable perspective du communisme et enthousiastes de découvrir que la lutte ardente, basée sur la doctrine qui a pétri la civilisation, est continuée sans trêve, avec foi et générosité.· Alors cette foule applaudit longuement; elle se libère, elle se passionne ; elle est belle à ce moment-là, la foule, c'est comme cèla qu'il faut l'aimer, car elle est spontanée comme le sont les pauvres. Lui faire la charité, c'est d'abord lui apporter la Vérité ; la vérité qui délivre, celle du Christ (p. 202). Encore beaucoup de littérature de ce genre et il y aura de beaux jours en perspective pour les partis communistes, en France et ailleurs, ainsi que pour l'impérialisme soviétique. B. L. Mythes et prophéties OSWALDSPENGLER: L'Homme et la technique. Traduit de l'allemand par Anatole A. Petrowsky. Paris, Gallimard, 1958, 157 pp. DANSle dernier chapitre du.Déclinde l'Occident, Spengler écrivait : <<••• la technique . est aussi _vieilleque la vie en général qui se meut librement Biblioteca Gino Bianco • LE CONTRAT SOCIAL dans l'espace. Dans la nature que nous voyons il n'y a que la plante qui soit le simple théâtre des événements techniques. L'animal, par le fait même qu'il se meut, a aussi une technique du mouvement pour se conserver et se défendre». Ce passage pourrait servir d'épigraphe à L'Homme et la technique, écrit treize ans plus tard. Pour Spengler, la technique est autre chose que ce· qu'elle était pour les Grecs, c'est-à-dire l'art de réaliser et d'agir, et à plus forte raison pour les modernes qui la définissent comme une pratique consciente née du savoir scientifique. Pour lui la technique est d'abord un phénomène vital dont l'origine remonte à l'espèce animale ; elle n'est ni un moyen ni un instrument, mais une manière de se comporter pour résoudre les problèmes pratiques posés par l'existence de l'être vivant. Ce comportement, aux pôles extrêmes duquel se trouvent la ruse du fauve et la domination de l'homme sur la nature comme sur ses semblables, suit une voie qu'on peut nommer le «progrès», et que détermine la nécessité d'assurer par tous les moyens la pérennité de la Vie. L'homme de Spengler est un animal de proie, le type le plus achevé du carnivore, ce qui lui conf ère, paraît-il, un « haut degré de dignité ». Mais c'est un animal soucieux, préoccupé du lendemain, lourd de son passé, affranchi de la contrainte générique et finalement créateur de sa tactique vitale, le « prédateur inventif» selon l'auteur. L'arme de son affranchissement est · la main prolongée par l'outil. « La main désarmée est en soi inutile », écrit Spengler (p. 75), oubliant le rôle capital qu'elle joue - sans outil - chez les singes. Pareille volonté d'explication biologique aboutit à faire de l'outil la conséquence nécessaire de la main et à définir ainsi l'homme en tant que conséquencelogique de sa structure anatomique. A la manière d'autres déterminismes, celui-ci conduit à la confusion de la condition et de la cause. Ennemi du principe de causalité quand il est appliqué par Darwin*, Spengler lui substitue « le rythme mystérieux de la réalité» (p. 74), porteur d'une nécessité, dont lui, Spengler, possède ~a clé. De la « pensée de l'œil » à la « main pensante», on peut dégager les relations entre le jugement exprimant la vérité et l'acte accompli en vue d'une finalité conçued'avance, qui distinguerait l'homme des espèces animales. L'essence de l'homme est un conflit avec la Nature - conflit tragique, la Nature devant rester la plus forte. L'Homme et la technique exprime un sentiment plus digne du tragique que Le Déclin de l'Occident. La société, simple organisme vivant, ne peut être autre chose qu'une particularité, une excroissance de la Nature. Le tout l'emporte sur_ la partie. Par là, Spengler se rattache à l'école organiciste, _mais il en représente la tendance • « Il est quelque peu stupide de s'acharner à la poursuite de causes et d'effets qui ne sont après tout que des formes de la pensée hun::aaine » (p. 74).

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