Le Contrat Social - anno III - n. 3 - maggio 1959

178 historique qui se perpétue, et c'est tout de même assez curieux, si l'on pense aux travaux innombrables et fort solides qui ont été publiés sur la question. Ce n'est pas même l'emploi de la langue arabe qui peut justifier ce quiproquo. Beaucoup de Berbères ne parlent que des dialectes berbères, ou du moins ne se servent de l'arabe - et quel arabe ! - que pour les relations avec l'extérieur. Au surplus, la communauté de langue, on l'a dit et redit, ne crée nullement l'unité ethnique ou nationale : il ne viendrait à l'idée de personne de compter comme Français les Belges ou les Suisses. Il est vrai que les Berbères eux-mêmes, surtout dans les villes, aiment assez qu'on les prenne pour des Arabes. A tout le moins laissent-ils planer le doute sur leurs origines. Peut-être même les blesserait-on si l'on se mettait, sans précautions oratoires, à les appeler Berbères. Faut-il voir là un complexe d'infériorité? La transformation du Berbère en Arabe équivaudrait-elle à une promotion? Et le mépris dont les envahisseurs arabes n'ont cessé d'accabler les habitants de la Berbérie aurait-il fini par se justifier aux yeux mêmes de ceux qui en étaient les victimes ? S'il en est ainsi, les Berbères ont bien tort de s'incliner devant ce gobinisme oriental: ce n'est pas en reniant ses origines qu'on se grandit, c'est en les avouant, en les revendiquant, d'autant qu'en l'espèce personne d'un peu informé ne peut s'y tromper (pp. 185-186). Par quels liens les habitants de la Berbérie seraientils rattachés à la civilisation arabe ? Par la langue ? Laissons même de côté les Berbères, très nombreux, qui sont exclusivement berbérophones et bornons-nous à constater que l'arabe parlé est un ensemble de dialectes à ce point différents les uns des autres que l'homme de Marrakech et l'homme de Damas seraient incapables de s'entendre. L'arabe classique est une langue morte, réservée à un minimum d'initiés, et ne crée pas plus une communauté linguistique que le latin chez les nations chrétiennes. Quant à l'arabe moderne, fabriqué par les journalistes d'Orient, pas un Maghrébin sur cent mille, à moins de s'épuiser à feuilleter le dictionnaire de Bercher, n'en saisirait un traître mot (p. 192). Cet effacement des Berbères devant le faux prestige des Arabes est, d'ailleurs, de date récente, et les raisons qu'on en peut donner relèvent pour la plupart de l'histoire contemporaine. Avant tout, les avances de l'Orient, la reprise de l'expansion arabe sous diverses formes. Quel merveilleux appoint serait la Berbérie (p. 196) pour le nationalisme panarabe ... Le « Maghreb arabe» : la farce est grossière et l'on a peine à croire que des Maghrébins intelligents tombent dans un tel panneau. Mais certains d'entre eux feignent de s'y laisser prendre. Ils se raccrochent aux Arabes, dont leurs ancêtres n'ont jamais admis l'intrusion dans les affaires de la Berbérie (...) C'est de !'arabisme par réaction, et l'on peut être sûr - il faut le dire à leur décharge - que c'est seulement cela (p. 197). Et l'auteur de conclure, dans ce dernier chapitre qui a pour titre « Eurafrique » : La Berbérie n'a jamais été l'Orient, elle en est plus que jamais éloignée. Sa résistance aux poussées orientales représente l'une des directions l~s plus accusées de son action historique. Au contraire, ses rapports avec le continent européen n'ont cessé, à travers les siècles, Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL de se mùltiplier et de se resserrer. Elle est devenue l'intermédiaire m.dispensable entre l'Europe occidentale et l'Occident noir ... L'Eurafrique, les États-Unis français d'Eurafrique : l'avenir est là; et le passé, avec ses préfigurations, autant que. le présent, avec ses réalités impérieuses, en donne la. certitude» (pp. 197-198). On voudrait en apprendre davantage, mais M. Mtouggui nous laisse sur notre curiosité - puisqu'il y a bien des façons de concevoir une Afrique du Nord, à la fois berbère et française, dans une entité eurafricaine plus vaste. La question est loin d'être «simple», ainsi que Gautier le remarquait pertinemment 9 • On peut craindre - et c'est le principal reproche qu'on lui puisse faire - que M. Mtouggui ne la simplifie un peu trop. A. G. H0R0N. Démocratie et science pol~tique J OVANDJORDJEVIC: La Yougoslavie, démo- · cratie socialiste. Paris, Presses Universitaires de France (Bibliothèque de la science politique), 1959, 227 pp. . CETTECOLLECTIONsemble jouer de malheur : après La Démocratie constitutio;1,nelle de Carl J. Friedrich (dont Yves Lévy a rendu compte dans notre numéro de novembre 1958), elle s'augmente d'un ouvrage qui ne rehaussera pas son prestige. M. Djordjevic ne manque pas de titres imposants: professeur à la Faculté de droit de Belgrade, doyen, vice-recteur de l'Université, directeur de la section des sciences politiques et juridiques, président du Conseil juridique yougoslave, ancien ministre-adjoint de la Constituante, président de l'Association yougoslave de science politique, vice-président de l'Association internationale de science politique, membre de l'Académie yougoslave, etc. En revanche, il n'a pas les qualités scientifiques élémentaires non seulement parce que ten·u de présenter la thèse communiste officielle comme absolument objective et irréprochable, mais aussi du fait de sa personnalité : sa science politique s'est toujours caractérisée par la compilation, voire par le plagiat. · Dès avant la guerre, il fut pris en flagrant délit de plagiat dans ses ouvrages « sociologiques » ; il faut lui rendre cette justice qu'il avait du goût -dans le choix de ses modèles, parmi lesquels figuraient Engels et Freud. Une brochure qui rassemblait des textes parallèles montrant les « emprunts » de M. Djordjevic fit sensation à Belgrade à la veille de la guerre ; il fallait vraiment que « les couches réactionnaires de la classe dirigeante de !'--ancienneYougoslavie », que M. Djordjevic vitupère actuellement, fussent bien 9. Cf. le Contrat social, vol. II, n° 2, mars 1958, p. 107.

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