Le Contrat Social - anno III - n. 3 - maggio 1959

174 - marche sur le trottoir, dépassant le tramway en panne, dépassée par le tramway en marche, puis . le redépassant encore. Jivago fait une crise d' étouffement, il veut ouvrir la vitre. Mais il s'agit d'une vitre fixe. Il parvient à sortir, tombe sur le trottoir, meurt. La très vieille dame voit ce jeune mort - il n'a pas quarante ans - et continue son chemin à petits pas. C'est la très vieille mademoiselle ·Fleury, qui fut si longtemps gouvernante des filles de la comtesse Jabrinski, à Méliouzéiev, qui n'a jamais parlé le russe qu'avec un extraordinaire accent français, et qui va chercher un visa de sortie enfin accordé. A petits pas elle poursuit sa route, image du vieil Occident qui va son chemin calmement tandis que, vase clos sans ouverture sur l'extérieur, le monde soviétique étouffe et s'épuise en efforts exaspérés pour le dépasser (le sens symbolique de la charrette est assez clair, et de même celui du tramway, surtout si l'on se rappelle le mot de Lénine sur le rôle de l'électricité dans l'instauration du communisme). On ne peut ici s'empêcher .de songer à la par~- bole de Hemingway symbolisant les États-U ms par un vieux colonel - cardiaque lui aussi - tandis que l' éternellement jeune Europe paraît sous la figure d'une contessina italienne de dixhuit ans. Qu'elle soit dite jeune ou vieille, l'Europe semble garder pour les âmes d'élite, en Amérique comme en Russie, un incomparable attrait, une magie prestigieuse : elle est, par excellence, la terre habitable, le lieu où l'esprit s'incarne. UNE DERNIÈRE coïncidence conduit Lara dans la chambre où repose le corps de Jivago, et c'est la chambre même où brillait dans un œil noir de givre fondu la flamme qui l'a, jadis, éveillé à la vie de l'esprit. Elle exhale alors une longue lamentation funèbre, qui achève de donner au récit de la mort de Jivago l'ampleur d'un finale de symphonie chez Beethoven. On n'en est que plus saisi de la sécheresse avec laquelle, aussitôt après, est mentionnée la fin de Lara : « Un jour, Larissa Fiodorovna sortit et ne revint plus. Sans doute fut-elle arrêtée dans la rue. Elle dut mourir ou disparaître on ne sait où, oubliée sous le n11méro anonyme d'une liste perdue,. dans un des inn~m: brables camps de concentration du Nord.» Ainsi s'efface, d'une terre où règne la terreur, le symbole de l'esprit et de la liberté. L'esprit, le sens de la vie et de la liberté renaîtront-ils sur la terre russe ? Pasternak semble nous en suggérer l'espoir puisque, de Lara et de Jivago, une fille, est née qui, perdue, est q11inze ans plus tard miraculeusement identifiée. Mais elle se met à parler, et rien dans ses paroles ne reflète son lignage. « Ce n'est pas la première fois qu'on voit cela dans l'histoire, observe Gordon. Ce qui est conçu d'une façon idéale et élevée devient grossier, se matérialise. » Ce n'est pas en effet par la chair que les valeurs se transmettent, mais par l'esprit. Jivago pensait (p. 569) : « Mes Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL , chers amis, vous êtes désespérément banals, vous et le milieu que vous représentez, ainsi que l'éclat et l'art des noms dont vous invoquez si volontiers l'autorité. La seule chose en vous qui soit vivante et remarquable, c'est que vous , " . avez vectf en meme temps que moi et que vous m'avez connu. » Cela conduit à imaginer que le « contenu historique » le .·plus durable de cette période, ce sont ces poèmes de Jivago dont le recueil, aux dernières lignes du roman, est entre les mains de ses amis, et qui,d'ailleurs figurent à la suite du roman. Disons même que le contenu historique durable, c'est ce volume tout entier qui contient, avec les poèmes, l'histoire de Jivago, c'est-à-dire l'histoire symbolique et romancée de la Russie contemporaine. Peut-être Pasternak, qui prend place dans la postérité des symbolistes russes, a-t-il, des dogmes fondamentaux de l'école symboliste, recueilli celui-ci, que Mallarmé a défini et formulé: cc Tout;au monde, existe pour aboutir à un livre. » YVES LÉVY. Les Berbères G.-H. BOUSQUET : Les Berbères (Histoire et Institutions). Paris, Presses Universitaires de France, collection « Que sais-je ? », 1957, 116 pp. LHAOUSSINE MTOUGGUI : Vue gén,érale de l'histoire berbère. Alger, la Maison des Livres, s. d., 198 pp. MALGRÉ d'innombrables études de détail et quelques travaux d'ensemble de valeur fort inégale, il n'existe sur les Berbères aucune synthèse vraiment solide. Elle serait pourtant d'un grand intérêt, et à un double point de vue : replacer l'immense région qu'est la Berbérie dans le cadre plus vaste et plus général de l'histoire méditerranéenne, voire eurafricaine ; et contribuer ainsi, sur le plan des connaissances, à une solution juste du problème nord-africain tel qu'il se p~se aujourd'hui. Parmi les éminents Français africains qui ont traité du Passé de l'Afrique du Nord 1 , on citera d'emblée E.-F. Gautier, géographe aux analyses pénétrantes, dont le Contrat social a reproduit quelques « pages retrouvées » toujours actuelles. Mais sa philosophie de l'histoire en somme fataliste, déterministe, ses généralisations brillantes sindn toutes probantes, son pessimisme souvent prophétique et parfois injustifié (p. ex_. quant au potentiel économique de ce « pays du sel », le Maghreb, et à la psychologie du Mijugrébin, éternel « traînard » parmi les « races · blanches méditerranéennes»), bref sa tournure 1. Payot éd.., Paris; dernière édition : 1952.

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