66 Il n'y a aucune raison pour que les États-Unis, uniquement afin de garder le premier rang, produisent au-delà de leurs besoins : ils ont déjà des excédents à ne savoir qu'en faire. On peut critiquer chez eux la répartition des produits, véritable critère du progrès social sur le plan matériel, mais la comparaison des niveaux de vie présents et à venir tournerait toujours à la confusion des communistes. On peut soutenir aussi que le réel progrès moral et intellectuel consisterait à renoncer aux besoins factices suscités par une civilisation trop matérialiste, donc que réduire la production ne serait pas incompatible avec la réalisation du socialisme, au contraire. Si la production soviétique record, dont il faudrait analyser les composantes avant de conclure, s'obtient par des méthodes inhumaines et alimente surtout des œuvres dispendieuses de prestige ou de puissance, au lieu d'améliorer le sort des travailleurs et de les rendre plus libres, il ne saurait être question de socialisme ou de communisme que par antiphrase. Le socialisme réalisé par Staline et le communisme que prédit Khrouchtchev appartiennent à la catégorie des mythes selon G. Sorel. La réalité dément la fiction. LES DIRIGEANTS communistes ont trop longtemps trompé leur prolétariat pour s'en tenir maintenant à des généralités sur des évaluations économiques globales. Ils promettent (une fois de plus) la réduction du temps de travail et un accroissement sensible de la capacité d'achat des salariés : encore faut-il que les consommateurs trouvent des marchandises sur le marché. La production démesurée de matériel de guerre, les expériences exagérément coûteuses de satellites artificiels et de fusées spatiales, les gaspillages de toute sorte qui chiffrent beaucoup jusqu'à présent dans les bilans maquillés, annuels ou quinquennaux, n'approvisioILflent pas les magasins. Dans les prochaines années, dit Khrouchtchev, « le prélèvement des impôts sur la population ne s'imposera plus»; en effet les impôts directs comptent pour moins de 8 °/0 des recettes budgétaires et ne vale~t pas le coût de l'appareil de perception. Mais l'Etat les récupérera aisément en fixant les prix des denrées de première nécessité. Et enfin « l'homme ne vit pas seulement de pain », comme l'a dit Yahwé à Moïse, longtemps avant Doudintsev. A plus forte raison l'homo sovieticus qui, en fait de pain, a été nourri surtout de promesses. L'homme ne vit pas non plus de fer et d'acier, même convertis en tracteurs et en machines, et il n'est pas vrai qu'un développement inconsidéré de l'industrie résolve automatiquement tous les problèmes de l'agriculture collective. Les chiffres vertigineux du plan septennal ne tiendront pas lieu de pain ni d'autres produits alimentaires indispensables à une population croissante et de plus en plus exigeante. Lors d'une session du Comité central réunie en décembre et dont le . BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL compte rendu 4 offre à maints égards beaucoup plus d'intérêt que celui du congrès, Khrouchtchev a précisé l'état pitoyable de l'agriculture soviétique à la mort de Staline, par contraste avec la situation actuelle dont il revendique l'excellence. Un examen attentif n'autorise pas à partager ses certitudes illusoires. Rectifiant les données connues jusqu'alors, Khrouchtchev accusait Malenkov d'avoir « malhonnêtement » falsifié les comptes en annonçant une récolte de 8 milliards de pouds en céréales (environ 130 millio11s de tonnes) bien qu'elle ne fût que de 5,6 milliards. (A la vérité, Malenkov obéissait à Staline, tout comme Khouchtchev.) En 1953 de même qu'en 1914, le rendement à l'hectare n'atteignait pas 8 quintaux en moyenne, malgré les dépenses fabuleuses en matériel, en électrification des campagnes. A présent Khrouchtchev se targue d'une récolte de 8,5 milliards de pouds en 1958, à l'instar de Malenkov en 1952, mais à son tour il triche, tablant sur des additions régionales sujettes à caution que son s_uccesseur devra bien dénoncer un jour. Et le résultat obtenu par voie extensive après défrichement de 20 millions d'hectares de terres vierges à un prix de revient inavouable dissuade de spéculer sur un accroissement continu atteignant 10 à 11 milliards de pouds ( 164 à 180 millions de tonnes) au terme septennal. Abstraction faite des conditions humaines, les impératifs climatiques et l'érosion du sol en Asie centrale, outre le manque d'engrais chimiques, vont à l'encontre de prévisions purement techniques qui, d'ailleurs, ne s'identifient pas plus au socialisme qu'au communisme. L'un des sophismes de Khrouchtchev le plus étonnant par le succès qu'il obtient en Occident est celui du « défi», de la « compétition» avec les pays capitalistes. L'abondance en Amérique, le confort en Suède ou en Suisse, la vie relativement plus facile en France qu'ailleurs n'ont jamais passé pour autant de défis à l'Italie ou à l'Espagne. Cependant le New York Times veut, à l'instar de Khrouchtchev, que « l'élévation marquée [future, hypothétique] du niveau de vie en URSS accroisse l'attraction politique du système. communiste non seulement sur les pays arriérés, mais sur les pays relativement pauvres de -l'Europe occidentale comme l'Italie». Pourquoi le haut niveau de vie aux États-Unis n'exerce-t-il aucune attraction politique sur ces pays ? Il faut croire qu'il s'agit là non de production, mais de politique. Mais le sophisme majeur accepté par presque tous les conseillers de l'opinion publique en Occident consiste à parler sans cesse de « construire le socialisme » là où l'on ne construit que des maisons, des usines, des centrales électriques. Partout dans le monde de telles constructions sont en cours sans s'identifier à aucun système social. 4. Plenum du Comité central du P. C. de l'URSS, 15-19 décembre 1958. Compte rendu sténographique. Moscou 1958. ' .
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