Le Contrat Social - anno III - n. 2 - marzo 1959

B. SOUV ARINE plus bourgeoises, le Communiste conclut : «On le voit par les échos de la presse mondiale, les matériaux et décisions du XXI 0 congrès ont secoué le monde. Le congrès a ouvert de nouvelles perspectives non seulement aux pays socialistes, mais à toute l'humanité. Et si différents soient-ils, ces échos traduisent l'intérêt le plus vif envers cet éminentissime événement de notre , epoque. » Il reste à savoir si la session et le bilan du congrès justifient l' « attention intense » et aveugle du «monde bourgeois inquiet », voire l' «alarme des cercles impérialistes» devant le soi-disant défi du « système » soviétique dans la soi-disant compétition entre le socialisme et le capitalisme, chaque terme de ce vocabulaire trompeur étant contestable et, finalement, dépourvu de teneur mutuellement admise. Les « réalisations énormes (...) du nouvel ordre social » ne permettent pas d'informer les peuples ·soviétiques ou soviétisés de ce qui se passe dans le monde, mais le monde est submergé de comptes rendus ne laissant rien ignorer <lesdites « réalisations » passées, présentes et futures 2 • · * .,,. .,,. KHROUCHTCHEV a occupé la tribune pendant plus de six heures pour lire le long « rapport» composé par les bureaux qualifiés du Comité central. Depuis la mort de Lénine, c'est une tradition déjà bien établie que de remplacer la qualité par la quantité. Le rapport ne contient rien d'original, aucune idée nouvelle : seulement des redites sur le plan septennal et tous les clichés habituels de la propagande. On avait déjà sous des formes multiples les « thèses » sur les « chiffres de contrôle» pour les années 1959-1965, traduites en toutes langues (en français, chiffres de contrôle sont devenus chiffres de base, mais base n'a jamais voulu dire contrôle, et ici contrôle n'a aucun sens, à priori). Les mêmes affirmations, vraies ou fausses, sont réitérées une fois de plus. Il n'y a pas là de quoi justifier l'ébahissement admiratif ou anxieux des correspondants de la presse occidentale, non plus que dans la répétition fastidieuse des litanies de la presse soviétique. Il appartient aux rares économistes qualifiés d'analyser les chiffres du plan septennal et aux rares observateurs politiques sérieux d'interpréter les ambitions qu'il recèle, que Khrouchtchev a formulées à sa manière. Quant à la durée du rapport, elle n'atteste que les capacités physiques de l'orateur, sans mettre en cause l'avenir de l'espèce humaine. Tout ce que raconte Khrouchtchev pour vanter les « grandes victoires du peuple soviétique» dans l'ordre économique, pour magnifier les 2. Pour qui ne lit pas la presse communiste, russe ou autre, et n'a pas suivi les relations de la presse u bourgeoise », il suffira de consulter le bulletin copieux de la Documentation françai1e, n° 199, du 25 f~rier, qui donne tout l'essentiel, notamment des rapports de Khrouchtchev et des résolutions finales. iblioteca Gino Bianco 65 «rythmes» et les pourcentages qui en imposent aux naïfs et même à des élites peu versées en la matière, se ramène à une vérité très simple : dans un immense pays riche de toutes les matières premières, une population de 200 millions d'âmes ne peut pas, à force de travail et de discipline, ne pas produire une certaine masse de biens matériels, en copiant la technique et l'exploitation occidentales, surtout en poussant l'exploitation à l'extrême. La comparaison avec les progrès économiques des États-Unis n'est pas neuve : Lénine l'avait faite, à l'avantage statistique de la Russie impériale, dans son livre sur Le Développement du capitalisme en Russie, paru en 1899. « ••• Le progrès de l'industrie minière va plus vite en Russie qu'en Europe occidentale et même qu'en Amérique du Nord», écrivait-il. « Dans ,les dix dernières années (1886-1896), la production·de fonte a triplé( ...) Le développement du capitalisme dans les pays jeunes est très accéléré par l'exemple et l'aide des pays vieux» 3 • 11n'empêche que la comparaison était et demeure à l'avantage des États-Unis si l'on prend comme critère les droits de l'homme, voire les .droits du prolétaire. Les données quantitatives exigent un examen à part. Rien ne presse puisque le plan septennal doit guider l'économie soviétique jusqu'en 1965 et que, dit la résolution du congrès, « après cela il faudra en~iron cinq années pour rattraper et dépasser les Etats-Unis pour la production industrielle par habitant». Donc il reste douze années à courir avant d'atteindre le but qui obsède Khrouchtchev et Cie dont les déclarations, à cet égard, entretiennent d'étranges équivoques: confusion voulue des dates, chiffres tantôt absolus et tantôt relatifs, choix d'indices changeants et arbitraires. A supposer que, dans douze ans, la production américaine soit restée au niveau actuel (supposition commode, mais vaine) et qu'alors la production soviétique la rattrappe ou la dépasse, en volume réel, cela ne prouverait rien de ce que les communistes prétendent prouver. La production est une chose, le socialisme en est une autre, et le communisme une troisième. 3. La Grande Encyclopédie Soviétique, en 1930, confirmait : « La croissance de l'industrie en Russie dans les années 90 s'accomplissait sur un rythme plus rapide que celui des grands pays d'Europe et d'Amérique» (t. XI). M. N. Pokrovski, chef de l'école historique marxiste en Russie, argumentait de même dans Le Marxisme et les particularités du développement historique de la Russie (Léningrad 1925) : « Économiquement, dans les derniers temps, la Russie se développait même plus vite que l'Europe occidentale( ...) Sous le rapport de la concentration de la production, la Russie du début du xxe si cle dépassait l'Allemagne (... ) Sous le rapport du rythme, la métallurgie russe d'avant la guerre [de 1914] tenait la première place dans le monde». Trotski avait abondé dans le m me sens en préconisant la planification, et l'on pourrait accumuler les références. Edmond Théry ne manquait donc pas de cautions marxistes, qu'il ignorait, en écrivant dans La Transfor,nation iconomique de la Russie, livre publié à Paris en 1914: « Si les choses, dans les grandes nations européennes, se passent entre 1912 et 1950 comme entre 1900 t 1912., vers le milieu du présent siècle la Ru sie donùn ra 1Eur pe., tant au point de vue politique qu au point de vue économique et financier. »

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