Le Contrat Social - anno III - n. 2 - marzo 1959

124 secrétaire», pp. 9 et 169 ; de même dans Ejegodnik 1958, pp. 8, 10 (2 fois), 18, 23 (12 fois), 24 (13 fois), 26 et 28, sans prendre la peine de scruter minutieusement ces ouvrages ennuyeux. Notons au hasard « secrétaire» sans majuscule dans la Pravda · du 28 janvier, « premier secrétaire» dans les Nouvelles de Moscou du 4 février 1959. à titre d'indications plus récentes. Il semble que la cause soit entendue, sauf pour qui a des yeux pour ne point voir, des oreilles pour ne pas entendre. Mais M. Rush croit se tirer d'embarras en inventant une « expression favorite de M. Souvarine » dont personne n'a le souvenir et, après cette impertinence aussi gratuite qu'inopérante, il achève de se discréditer en imaginant de toutes pièces une histoire qui aggrave irrémédiablement son cas : Khrouchtchev aurait « éliminé d'un trait de plume cinq sur les onze membres du Praesidium ». Cette façon effrontée d'en prendre à son aise avec la réalité la plus évidente mérite un commentaire. Non par considération spéciale pour u11 auteur qui s'abaisse à ce niveau : puisque M. Rush y tient absolument, nous avouerons notre dessein dans toute sa noirceur. Il s'agit de mettre en cause, non pas tellement le livre de M. Rush (il en existe des douzaines de même espèce, qu'on s'abstient de discuter), mais la Rand Corporation sous l'égide de laquelle prospère une kremlinologie qui finit par susciter de légitimes inquiétudes. Sans la marque de la Rand, il ne serait pas question de ce livre. La Rand est une création de l' Air Force américaine qui protège notre manière de vivre et permet de critiquer les sous-produits de son initiative : la solidarité des pays que l'impérialisme soviétique accule à une défensive conjointe implique l'exercice de ce droit de critique, doublé d'un devoir. Dans Newsweek du 19 janvier dernier, un article sur les Fabuleuses Compagnies à Penser traite des « centr~s cérébraux » consacrés à la « pensée professionnelle » et auxquels le gouvernement des États-Unis s'adresse de plus en plus pour « la pensée spécialisée néce~saire aux grandes décisions» d'où dépend la« survie nationale» (nous citons littéralement, comme nous avions cité textuellement M. Rush qui a le front d'insinuer le contraire). Parmi les « groupes pensants» qui fournissent au gouvernement des données dites objectives pour l'aider à résoudre « ses problèmes les plus importants», Rand Corporation est le plus achevé (elaborate), avec ses 800 employés, comprenant 141 docteurs en philo-·· sophie, et son budget annuel de 13 millions de dollars. Le personnel est payé pour penser. Il consomme 40.000 gallons de café par an, soit quatre tasses par homme et • par Jour ... Pour découvrir que Khrouchtchev a « éliminé d'un trait de plume cinq sur les onze membres du Praesidium », il a donc fallu à M. Rush boire trop de café ou pas assez. Car si l'on sait compter, Malenkov, Molotov, Boulganine, Kaganovitch, Pervoukhine, Sa.- bourov et Chepilov additionnés font sept, soit la majorité du Praesidium, et pour en venir à bout il a été nécessaire en juin 1957 d'alerter, de rassembler d'urgence à Moscou le Comité central et la Commission de contrôle, soit environ 300 personnes, ce qui ne ressemble pas précisément à un « trait de plume » du seul Khrouchtchev. Ni le soi-disant « groupe antiparti », ni Khrouchtchev n'étant capables d'employer les moyens de Staline pour imposer une décision prise BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL à la majorité au Praesidium ou pour s'y opposer, c'est une véritable mobilisation improvisée de la « direction collective » qui a tranché le différend. Convertir cette manifestation sans précédent de volonté collective en un « trait de plume » personnel de Khrouchtchev, oser prétendre que la « théorie ( ?) oligarchique» s'est effondrée en été 1957 alors que l'inverse crève les yeux - le procédé passe les limites de la kremlinologie supportable. Là où l' « épreuve des développements» a déjà réglé le compte de M. Rush et de sa « théorie »., le penseur de la Rand fait semblant de puiser un motif de se rengorger : pour qui prend-t-il ses lecteurs ? Il ne reste vraiment rien des fausses découvertes critiquées ici en tant qu'échantillons caractéristiques d'une littérature kremlinologique trop répandue et qui devient dangereuse quand le pavillon de la Rand couvre la marchandise.· Sur le combat singulier entre Khrouchtchev et Mikoïan, ·emprunt de M. Rush au charlatan I. Deutscher, de très bas étage, inutile d'insister. Sur l'idée que divers soviétologues se font du :XXe Congrès, où chaque orateur aurait pu improviser à sa guise, nous avons épuisé le suj.et. Sur la fausse distinction, chère à tant de commentateurs, entre « staliniens » et « libéraux », on a des lumières supplémentaires depuis le rebondissement de la querelle engagée contre le cc groupe antiparti » : il est clair qu'une certaine différenciation a eu lieu, étrangère à tout libéralisme., entre staliniens prudents et staliniens novateurs, les uns ni les autres ne formant des tendances homogènes. Sur le culte de Staline, il n'y a pas eu deux opinions possibles quant au fond : l'immonde tyran était honni de tout son entourage terrorisé ; mais les avis se sont évidemment partagés quant à l'utilité, l'opportunité, les risques et les périls du déboulonnage ; d'où les tiraillements reflétés dans la presse soviétique jusqu'au XXe Congrès; le discours secret de Khrouchtchev a été le point culminant d'une campagne d'assainissement commencée peu après la mort du Caligula géorgien et décidée par la majorité fluctuante de la cc direction ·collective », laquelle a rectifié son tir en tenant compte de l'expérience et des conséquences. Enfin sur Joukov au pouvoir, le cc rôle de l'armée» et le bonapartisme, la faillite pitoyable de toute l'école kremlinologiste est trop flagrante pour qu'on y revienne. Tout cela a été exposé, argumenté d'une manière suivie, cohérente, dans nombre de nos articles au cours des cinq années dernières, sous l'exigence de l'actualité, et les dix lignes citées par M. Rush ne sont pas une somme 4 • ,. On ne dira pas que le présent rédacteur ait ·varié dans ses essais d'interprétation. Ni qu'il ait jamais laissé entendre que Khrouchtchev ne nourrit aucune ambition et soit hissé sur le pavois à son corps défendant : M. Rush enfonce une porte ouverte en écrivant que Khrouchtchev. «a sciemment augmenté sa puissance» et divague en croyant que ce serait incompatible -avec un régime oligarchique. Il est vrai que nous avons été seul, à notre connaissance (on ne peut pas tout lire), à soutenir la conception d'ensemble qui contredit celle des divers kremlinalistes d'Europe et d'Amérique. Ce 4. Pour se borner à signaler les articles parus dans Est et Ouest en 1958 : Khrouchtchev, hier et aujourd'hui (n ° 193); Khrouchtchev et la « direction collective» (n ° 198) ; Khrouchc.. tchev en scène (n ° 207) ; La confession de Boulganine (n ° 208). Dans le même Bulletin, nous avons constamment réfuté les racontars sur l'antagonisme supposé entre Khrouchtchev et Mao Tsé-toung, sur l'immixtion prétendue des comm11nistes chinois dans les affaires soviétiques ; cf. pour 1958 : Chinoiseries intempestives (n ° 199) ; et L'~x~ Moscou-Ptkin (n ° 200).

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