Le Contrat Social - anno III - n. 2 - marzo 1959

CORRESPONDANCE dont nul-ne soupçonnait l'existence 1 • Nous n'avions pu comprendre ce qu'il tendait à prouver, sinon que Khrouchtchev est le premier secrétaire (le Premier Secrétaire avec des majuscules, s'il y tient) du Parti : or c'est dans tous les journaux. Maintenant il précise : si Khrouchtchev déchoit du pouvoir,« il y aura, d'après ma théorie, une nouvelle crise de succession». Autrement dit, en ce cas, il faudra nommer un successeur ? Personne ne le conteste. Le sujet du livre ne serait donc pas «the rise of Khrushchev », mais plutôt « the future fall of Khrushchev » ? Nous craignons de ne pas mieux comprendre. Pour M. Rush, l'histoire commence en juin 1957. On lui objecte que la «crise de succession » de Staline a eu lieu en mars 1953 : dès le 6 au plus tard, le Comité central, le Conseil des ministres et le praesidium du Soviet suprême, réunis par une procédure exceptionnelle, ont rétabli sous un nouveau nom le Politburo de dix membres et nommé quatre secrétaires parmi lesquels Khrouchtchev prime visiblement les autres. En effet le communiqué officiel (Pravda du 7) passe lvlalenkov sous silence à propos du Secrétariat, après l'avoir désigné comme président du Conseil des ministres, et déclare indispensable que Khrouchtchev se concentre désormais sur sa tâche de secrétaire du Comité central. Le 21 mars, la Pravda rend compte d'une réunion du Comité central, tenue le 14, où Malenkov aurait été « libéré » du Secrétariat. L'intervalle entre ces deux dates et l'obscurité voulue des deux communiqués sur ce cas indiquent à quel point l'éviction de Malenkov avait été laborieuse. Dès lors, l' « appareil » du Parti était aux mains de Khrouchtchev dont la prééminence sera confirmée six mois plus tard sous le titre de « premier secrétaire » (celui de « secrétaire général» étant devenu indésirable). Devant tout cela, M. Rush ferme les yeux, se bouche les oreilles et se dit taxé d'ignorance par quelqu'un de prétentieux qui s'attribue la science infuse, mais qui pourtant s'avoue lui-même ignorant en matière de secrets du Kremlin. Or on s'est borné modestement à rappeler des faits réels dans leur ordre chronologique. Tout le monde en Occident, et ailleurs aussi, a interprété la chute de Malenkov en mars 1953 comme une élévation à la charge suprême, celle de premier ministre. Cela prouve combien les esprits formés exclusivement aux disciplines classiques ont du mal à se mettre dans la tête une vérité bolcl1évique aussi indiscutable que celle de la primauté du Parti dans l'État, donc du Praesidium sur le gouvernement nominal 2 • Pour qui l'a compris, les étapes de la disgrâce de Malenkov n'ont pas été des surprises (réserve faite de la péripétie finale, imprévisible) : le président du Conseil ne dispose d'aucun « appareil ». On devine pourquoi M. Rush ignore systématiquement tout ce qui a précédé le XXe Congrès : il explique 1. C'est Lénine qui, avec raison, qualifiait d'authen~que •oligarchie» son Comité central, en 1920. A plus forte raison les « sommets » du Parti méritent-ils cette qualification, quarante ans plus tard. Mais aucune « théorie » ne se mêle ici à la reconnaissance d'une réalité frappante. 2. Une littérature effarante, même sous forme de livres, a été consacrée à l'« ère Malenkov» et à l'« heure Malenkov», alors que Malenkov avait per~u les levi~rs du pouvoir e~ passant du secrétariat du Parti à la présidence du. Conseil des ministres. Il occupait encore une place de premier rang, mais au Praesidium, d'où aucun espoir ne lui était interdit. Cependant, en s'aliénant la majorité du Comité central, il n'a cessé de rétrograder jusqu'à l'échec final dans sa tentative d'évincer Khrouchtchev en juin 1957. Son initiative malheureuse a hAté le processus naturel de renouvellement des cadres dirigeants, par l'élimination des plus proches 1uxili1ïres de Staline. Biblioteca Gino Bianco 123 l'ascension de Khrouchtchev par le zèle de ses «protégés ll. Mais en mars 1953, le Comité central, le Conseil des ministres et le praesidium du Soviet suprême comptaient plutôt des protégés de Staline, de Malenkov, de Béria, de Molotov, de Kaganovitch. C'était encore vrai en septembre 1953, quand le Comité central donna à Khrouchtchev le titre de « premier secrétaire». Un minimum de savoir et de bonne foi suffit donc à faire justice de la « théorie » des protégés. D'autre part, on ne voit pas pour quelle raison Khrouchtchev, devenu tout-puissant, sélectionnerait dans la hiérarchie secrétariale des protégés de M. Rush. N'importe qui, à sa place, choisirait ses hommes de confiance, quitte à se tromper parfois et, peut-être, à se créer des rivaux. Sur les rapports entre protecteurs et protégés qui deviennent « supporters », l'essentiel a déjà été dit précédemment. Un nouvel exemple, depuis, s'y ajoute : Sérov, «supporter» de Khrouchtchev écrit M. Rush, «fut antérieurement subordonné à Khrouchtchev en / Ukraine et .son élévation au pouvoir depuis la mort de Staline est parallèle à celle de Khrouchtchev à d'importants égards. -11 a accompagné Khrouchtchev dans ses voyages nombreux et prolongés à l'étranger». On sait con1mer1t, on ignore pourquoi le supporter a été démis de ses fonctions par son protecteur. Alors que vaut une « théorie » de ce genre ? Il ne faut pas ouvrir le livre de M. Rush, peu importe à quelle page, si l'on veut garder la moindre illusion sur la kremlinologie que couve et couvre la Rand Corporation. En cherchant Sérov, nous trouvons ceci sur Joukov : « S'il existe une menace au pouvoir actuel de Khrouchtchev, elle est dans la personne du maréchal Joukov, héros de la guerre et chef de la défense. n Et un peu plus loin : « Le maréchal Joukov, il est vrai, contrebalance l'influence de Khrouchtchev dans les forces armées. » Il serait trop facile de relever de telles affirmations après coup ; mais on est en droit de le faire quand, pendant des années, on a inlassablement réfuté toutes les spéculations de cette sorte sur Joukov, sur l'armée, sur le bonapartisme, sur l'« influence des militaires», etc., sans attendre la disgrâce du maréchal que les kremlinologistes présentaient tantôt comme le protégé, tantôt comme le protecteur de Khrouchtchev 3 • M. Rush élabore sa « théorie » en s'appuyant aussi sur des initiales majuscules aux mots «Premier Secrétaire», repérées dans la presse en 1955. On lui objecte trois ouvrages majeurs de référence parus de 1956 à 1958 où lesdites initiales sont minuscules. Il prend l'air absent, puis f~it mine d'être victime d'une malignité particulière. Pour lui donner bonne mesure, relevons par surcroît dans Ejegodnik 1957, supplément de la Grande Encyclopédie Soviétique, deux fois « premier 3. Rien de plus absurde que la légende du cc héros de Berlin », forgée de toutes pièces en Occident, et que sa prétendue « popularité », son « influence » imaginaire, ses pseudochances de saisir le pouvoir. Longtemps seul à contredire ces fictions jusqu'à la chute du personnage, nous avons eu enfin satisfaction à lire dans la Pensée Russe du 26 avril 1958 un article signé << Rolline » confirmant pleinement nos vues. Joukov, écrit en substance cet auteur sérieux, n'est qu'une pauvre brute qui copiait les défauts de Staline, s'était rendu intolérable dans son propre secteur militaire et n'aurait pu même songer à entreprendr quoi que c f0t contre l'appareil du Parti. Tout ce qu'on a raconté à son sujet est faux et invraisemblabl . Cet article de la Pe,isée Russ c0t mérit d'être largement reproduit, en son temp .

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==