CORRESPONDANCE le rapporta, je pus comprendre leur attitude, influencée par ses opinions sur le fascisme et par ses relations apparemment équivoques avec le régime de Mussolini ... ) Bien entendu, on le maintint à l'écart. C'est à cette époque également qu'il conversa avec le groupe trotskiste de Londres, mais non pas à titre de membre. Il faut ajouter que Rizzi était affilié en bonne et due forme au parti communiste italien ; il ne fut jamais exclu, ni ne donna sa démission ; on l'écarta tout simplement, sans doute parce qu'il s'agissait d'un individu bizarre, d'un « excentrique». Du moins telle est mon impression, d'après le récit de Rizzi en personne. Il faut croire que les trotskistes eux aussi virent en lui un excentrique, qui de plus avait une attitude étrange à l'égard du régime italien. Si le livre de Rizzi est à peu près introuvable aujourd'hui, c'est que l'édition fut détruite à Paris après le début de la guerre. Peu d'exemplaires ont subsisté. Il se trouve que Rizzi lui-même n'en· possède aucun depuis que je lui ai emprunté son seul et unique exemplaire. Enfin, il faut relever que M. Henein, dans le résumé qu'il donne des idées du livre, en omet une section très importante. Comme il a payé suffisamment tribut à Rizzi en tant que premier auteur à décrire le stalinisme sous les espècesd'un ordre social nouveau, ni socialiste ni capitaliste, il est inutile de revenir sur ce sujet. Mais il y a lieu de souligner que la théorie de Rizzi n'est nullement notre théorie du collectivisme bureaucratique. Dans la Bureaucratisation du Monde, l'idée de Rizzi est que ce nouvel ordre qui se forme en Russie, en Allemagne et en 1 talie se trouve dans la ligne historique du progrès et mérite d'être soutenu par les socialistes. L'Allemagne et l' 1 talie ne désirent que de l'espace vital et des matières premières, et si on les leur accorde, elles se montreront pacifiques. Cette étape est historiquement nécessaire sur la route qui mène vers la société socialiste sans classes. Le fascisme et la Russie devraient faire cause commune (« Mussolini et Hitler tendent la main à Lénine ») • Bref, l'auteur cherche des raisons socialistes rationnelles pour soutenir une alliance fascisto-stalinienne. Cependant, tout à fait à la fin de son ouvrage, Rizzi change d'avis explicitement : ce collectivisme bureaucratique n'est point progressif, après tout, mais au contraire parasitaire; et en effet, dans sa préface, l'auteur préconise l'opposition au fascisme. Toutefois il n'y a aucun lien évident entre le corps de l'ouvrage et cette dernière opinion de Rizzi. On ne peut également manquer de regretter un autre défaut dont Rizzi souffre : il prend au sérieux beaucoup des clichés racistes que les antisémites ont répandu au sujet des Juifs. Son livre se fait l'écho de bien des vitupérations antisémites qui sont monnaie courante chez les nazis. Certes, il n'accepte pas leurs théories biologiques, mais il n'en appelle pas moins à la lutte contre les Juifs en tant que danger capitaliste. (Non pas tous les Juifs, d'ailleurs, car il en prise quelques-uns.) Dans mes conversations avec lui, je fus désagréablement surpris qu'il acceptât comme authentiques les trop célèbres « Protocoles des Sages de Sion »; d'ailleurs il ajoutait que, pour lui, les Juifs avaient bien le droit « de se défendre » de cette manière I Ainsi, disait-il, la Jre Internationale de Marx fut en réalité l'œuvre de la conspiration juive mondiale, quoique Marx lui-même n'en ft1.t pas conscient... Mais Rizzi ne put m'expliquer comment il a découvert ce fait, qui avait échappé à Marx ; il se contenta de déclarer que pour qui se donne la peine d'additionner, deux et deux font quatre. Aujourd'hui Rizzi vit hors de la politique italienne et de toute fraction du mouvement socialiste, quoiqu'il sernble avoir des amis dans le groupe « bordiguiste >> et dans une autre ,,et, à Milan. Il ne parait pas que le mouvement Biblioteca Gino Bianco 121 socialiste l'intéresse désormais. Depuis qu'il a écrit son livre, il ne se tient plus au courant de ce qui paraît sur la Russie et le stalinisme, car, dit-il, ce sont là des problèmes qu'il a résolus en 1939, une fois pour toutes. En vérité, il n'en a rien lu. De ses fenêtres on voit les montagnes, le ciel et les eaux, mais point d'êtres humains; l'isolement du monde semble complet. Hal Draper. D'une lettre de René Selitrenny (Limours, S.-et-O.) : Parmi les mauvaises querelles que l'on cherche à James Burnham (il y aurait des objections justifiées à lui opposer, mais on ne le fait guère), la moins fondée consiste à prétendre qu'il a «copié>>le factum de Bruno Rizzi. L'idée n'était-elle pas dans l'air? Le livre de Lucien Laurat, le Marxisme en faillite ? (1939), se rapproche aussi de celui de J. Burnham. R. Hilferding écrivit durant la guerre un article, le dernier avant son arrestation, d'inspiration -semblable. René Selitrenny. Il ne saurait être question de remplir un numéro de notre revue avec le flot de lettres suscité par l'article de G. Henein. L'essentiel est dit. Et rien ne prouve que James Burnham ait plagié B. Rizzi. Dans les Machiavéliens, Burnham indique ses sources d'inspiration les plus directes, Georges Sorel, Robert Michels *, Vilfredo Pareto. Il aurait pu citer Proudhon et Bakounine, plus près de nous la controverse entre Yves Guyot et Paul Lafargue, enfin les « oppositions de gauche » dans le communisme contemporain, représentées par Chliapnikov et Sapronov en Russie soviétique, par Karl Korsch et Hugo Urbahns en Allemagne. En tout cas, la« nouvelle classe » était prévue bien avant B. Rizzi et M. Djilas, comme l'a montré Max Nomad en rapp~- lant l' œuvre de W. Makhaïski dans le Contrat social (no 5, septembre 1958). Beau sujet de thèse pour un futur doctorat ès sciences sociales. Kremlinologie M. MYRONRusH, de la Rand Corporation (Washington, D.C., USA), dont le livre The Rise of Khrushchev avait été critiqué dans notre n° 5 de 1958, nous a envoyé la lettre suivante : Th'"TRI AND CORPORATION Washington 6, D.C. (USA) 22 décembre 1958 Une défense détaillée de mon livre The Rise of Khruschchev contre la critique de M. Souvarine publiée dans votre revue ne servirait pas à grand-chose. Comme mon livre est peu connu en France, une rectification des erreurs et des déformations de sens contenues dans la critique ne pourrait guère intéresser vos lecteurs. Il mérite d'être retenu cependant que bien des opinions que m'a prêtées M. Souvarine ne se trouvent nulle part dans mon texte. Je me bornerai à quelques observations générales sur la différence fondamentale entre nos vues concernant la politique soviétique de nos jours. M. Souvarine croit que cette différence découle du simple fait que j'ignore tout sur le sujet tandis qu'il en a une n1aîtrise con,plète. Quoi • Dans l'édition française des Machiavéliens (Paris, Calmann Lévy éd., 1949), où les notes fourmillent de maladresses et d'inexactitudes, on indique à tort que les Partis politiques, de Robert Michels, n'existent pas en traduction française. Or cet ouvrage a paru chez Flammarion, Paris, 1914.
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