116 qui nous semblent devoir être observées; leur rigidité est en raison directe de l'arbitraire qui préside aux méthodes techniques d'analyse» 2 • Ce qui frappe, dans le livre dont nous nous occupons, c'est précisément l'arbitraire. Arbitraire d'abord dans le sujet. 11 s'agit de démographie, évidemment. Mais de quoi au juste ? et de quels pays ? Un peu n'importe lesquels. Et aucun ne fait l'objet d'une étude approfondie. En principe, semble-t-il, il s'agit des pays techniquement arriérés. (On dit maintenant «sous-développés». C'est le décalque peu heureux d'un terme anglais.) Mais on lit p. 118 : «Notre étude vise surtout les pays déjà assez fortement peuplés.» Il ne s'agit donc que de quelques-uns des pays arriérés. D'autre part, on lit p. 269 : «Une certaine attentio11doit aussi être portée aux populations évoluées.» Les évolués, c'est nous. On voit que dans ce livre, il y a de tout un peu. Y compris beaucoup de généralités sur la démographie, semées ici et là, et souvent bien contestables. On a le sentiment que M. Sauvy fait de la démographie en se fondant sur des évidences logiques ou psychologiques beaucoup plus que sur des faits. C'est un bon moyen pour semer des idées fausses. Par exemple, M. Sauvy parle d'une époque «naturelle» - c'est lui qui met ce mot entre guillemets - «où les hommes ne cherchaient pas à limiter leur descendance, où le progrès technique était plus lent que la multiplication naturelle 3 et où enfin la médecine n'était pas d'un grand secours contre la mort». Il y a là une utilisation de la nature, avec ou sans guillemets, qui suffirait à ruiner tout espoir de jamais faire de la démographie une science... de la nature. Car si nous ne sommes plus dans la nature, comment la science est-elle possible ? Il serait long de développer ce point, qui enveloppe les erreurs fondamentales de M. Sauvy. Arrêtons-nous seulement à l'expression «multiplication naturelle » pour noter que cette multiplication est (p. 50) de I à 1,5 %, mais que (p. 80) l'« exubérance asiatique» est opposée à la «relative stérilité des noirs». De sorte que nous comprenons bien que nous sommes, nous, sortis de la nature, mais nous nous demandons qui, des Africains ou des Asiatiques, peut se flatter de se reproduire selon la vraie nature de la nature. En vérité M. Sauvy avait, dès ses débuts, parfaitement signalé le péril qui le menaçait : celui de substituer à l'esprit scientifique ses passions et ses préjugés. Et précisément ses passions et ses préjugés ruinent tout le travail scientifique qu'il prétend faire. Qu'est-ce, après tout, que ce livre dont nous parlons ? Ce n'est pas un livre scientifique, c'est un livre politique. A travers son extraordinaire confusion, on finit par discerner que M. Sauvy a pour propos essen2. Essai sur la conjoncture et la prévision Paris 1938, p. 184. , · , . economiques, 3. Ici, la nature n'est plus entre guillemets. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL tiel d'opposer la croissance démographique de l'Asie au vieillissement de l'Europe occidentale. Il importe d'éclairer l'Asie sur les dangers de sa natalité, l'Europe sur les dangers de sa dénatalité. Il importe surtout de répandre l'inquiétude, d'agir sur la conscience collective. Et puisque ce livre est écrit pour les Français, on doit conclure que, consciemment ou non, M. Sauvy cherche à convaincre les Français de la nécessité d'une politique nataliste. Il prend même garde, pour mieux- les persuader, de ne pas donner les chiffres statistiques concernant la France, parce que les chiffres globaux de l'Europe occidentale sont plus alarmants (p. 271). Si M. Sauvy veut alarmer les populations, c'est qu'elles seules comptent. Les hommes politiques, dit-il (p. 291), «n'ont guère de possibilité d'agir. C'est en dehors d'eux que doit se faire l'action». Sans doute, dans la mesure où il s'agit de faire des enfants... Pour le reste, M.Sauvy a négligé de nous dire de quoi il s'agit. Peut-être ignore-t-il que ce sont des mesures gouvernementales qui ont déclenché en France la reprise de la natalité. L'analyse décèlerait, chez M. Sauvy, un fond anarchiste mêlé d'un tantinet de chauvinisme : n'était qu'il semble partisan de la conception libre, la lecture de son livre ferait penser au petit bulletin nataliste que publiait Louis Forest il y a trente ou quarante ans : là aussi on trouvait des statistiques enrobées de conclusions hâtives, des graphiques, des prévisions. Et il devait bien y avoir aussi la natalité chinoise. Car au fond toute la science de M. Sauvy n'est qu'un voile dont il se masque à lui-même cette vieille peur qui a· dû troubler son enfance : le péril jaune. Cela ne veut pas dire que les conclusions de M. Sauvy soient faùsses, mais simplement qu'elles sont sans valeur. Parce que son livre n'est ni ouvrage scientifique, ni œuvre de vulgarisation : c'est un livre de propagande. Y. L. Collectivisation et travail forcé DÉMOSTHÈNEAcou : Du kolkhoze au sovkhoze. Paris, les Éditions de Minuit, 1958, 277 pp. L'AUTEUR,ingénieur agronome ro11main, a vécu et travaillé dans plusieurs kolkhozes soviétiques. Il s'est appliqué à en analyser la structure juridique et administrative; il a cherché à démontrer que )es réformes des dernières années ont pour but de transformer graduellement les kolkhozes en exploitations entièrement étatiques. C'est là une tâche ardue puisque la politique du pouvoir soviétique se signale, dans le secteur agraire encore plus que partout ailleurs, par de fréquents retournements. En effet, loin de suivre de façon plus ou moins rectiligne un cours correspondant aux exigences de la doctrine, ou au
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