QUELQUES LIVRES beaucoup de données concernant les travailleurs des campagnes et des villes. Ces données, à vrai dire, manquent parfois de précision .. (Par exemple l'auteur note, p. 167, qu'en 1773 plus de cinq mille ouvrières étaient recensées à Venise dans la seule industrie du tissage de la soie, alors qu'en 1762, pour toutes les industries, le recensement donnait 3.284 ouvrières. Il suppose que le recensement de 1762 a oublié plus de trois mille ouvrières du tissage, ourdisseuses ou bobineuses. Du reste, lui-même redonne ensuite, p. 373, la statistique de 1773 sous la date de 1771.) Ce qui est plus fâcheux, c'est que les données sont assez fragmentaires, et ne permettent guère, semble-t-il, de tracer une histoire suivie du travail dans la période considérée. Aussi l'auteur parle-t-il surtout de la seconde moitié du XVIIIe siècle, et même, le plus souvent, du dernier tiers du siècle. Il montre le caractère éminemment agricole de l'économie italienne, la prolétarisation des travailleurs des champs - bien des métayers deviennent ouvriers agricoles - et celle des artisans, la décadence et la suppression des corporations, la croissance d'une maind'œuvre industrielle salariée, la chute du niveau de vie par la montée des prix. Toute cette matière, malaisée à connaître, était malaisée à dominer. Il ne semble pas que l'auteur s'en soit très bien tiré. C'est sans doute parce qu'il a abordé son étude avec des préjugés qui ne laissent pas de surprendre lorsqu;on songe à la personnalité du directeur de la collection. S'il écrit (p. 85) qu'il faut « se débarrasser des préjugés (... ) et se rappeler que tout processus historique a ses particularités propres», cela ne le retient pas de faire à maintes reprises des1efforts déroutants pour couler ses observations dans le moule marxiste. Au lieu de tenir compte avant tout du temps et des lieux, c'est-à-dire d'une part de l'évolution des méthodes et des techniques, d'autre part d~s transformations juridiques dans les différents Etats de l'Italie, il ne mentionnera qu'incidemment celles-ci ou celle-là. Peut-être faut-il ici mettre en cause sa qualité de professeur d'histoire économique; il ne semble pas à l'aise dans les données qui sont étrangères à l'économie, sans du reste exposer avec assez de clarté ce qui relève de celle-ci. De même son examen des théoriciens sociaux de l'époque est faible. Une raison en est sans doute dans un manque de sens historique, qui est patent lorsque, par exemple, l'auteur cite (pp. 428-429) Vico après Filangieri, et plus généralement lorsqu'il néglige de dater les faits ou les textes. Une autre raison est que l'époque qu'il étudie ne l'intéresse pas en ellemême. Ce qu'il y cherche, ce sont les prodromes du capitalisme libéral et du socialisme. Le reste n'est visiblement qu'un chaos indistinct médiocrement digne d'intérêt. Il n'hésite pas à écrire (p. 366) que la conscience de classe est antérieure à la Révolution française, quitte à reconnaître (p. 390) que « la com~lexité des choses empêchait la clarification des idées», et (p. 431) que les circonstances « rendaient extrêmement difficiles, Biblioteca Gino Bianco 115 voire impossibles, la formation et la diffusion d'idéologies de classe». La conscience de classe est donc, au XVIIIe siècle, caractérisée... par son inconscience. De même l'auteur se donne quelque mal pour excuser les ouvriers du temps de n'avoir pas compris que le libéralisme était voulu par le progrès de l'histoire. Mais quand ils l'auraient compris, on ne voit pas pourquoi ils se seraient réjouis d'une évolution dont ils étaient les victimes. D'une façon générale, il est fâcheux de voir l'auteur chercher avec tant d'obstination les idées du XIXe siècle dans le XVIIIe, au lieu de limiter son effort à bien peindre celui-ci et à le comprendre selon son esprit et dans son évolution propres. L'ouvrage ne contient pas de bibliographie. Il se t~rmine par cent cinquante pages d'appendices, où sont reproduits des documents du temps, essentiellement des statistiques. C'est une des parties les plus vivantes de ce livre. YVES LÉVY Le péril jaune ALFRED SAUVY : De Malthus à Mao Tsé-toung. Le problème de la population dans le monde. Paris, Denoël, 1958, 303 pp. M. SAUVY avait des disciples et un public. Il s'est aperçu l'an dernier qu'il avait aussi un lecteur, et cette découverte ne lui a pas été agréable. Il exprime son amertume dans la préface du présent volume, il se plaint de ne trouver chez son critique nul respect pour « le grade universitaire ou les connaissances elles-mêmes». Mais pourquoi respecterait-on les mandarins ? Les grades universitaires donnent à trop d'entre eux une assurance et une autorité qui semblent les dispenser de faire attention à ce qu'ils écrivent. Quant aux connaissances, à quoi servent-elles lorsqu'elles ne sont pas utilisées avec fruit, ou quand elles sont, pour ceux qui les ont, un titre à parler de ce qu'il ignorent 1 ? Le présent ouvrage est un bon exemple des connaissances mal utilisées. On peut imaginer que M. Sauvy le considère comme un ouvrage de vulgarisation, mais cela ne suffit sans doute pas à excuser la confusion qui y règne. Quant à la méthode, elle ne répond guère aux espoirs qu'on pouvait fonder sur une des conclusions formulées il y a quelque vingt ans par M. Sauvy, aux dernières pages de son premier livre. Il indiquait que l'« observateur économique» (mais cela vaut, J'imagine, pour le démographe) devait défendre son objectivité contre toutes les passions. « Telles sont, disait-il enfin, les règles morales 1. Le 19 aotît dernier M. Le Lannou, qui est un universitaire, notait dans sa chronique du Monde que trop de géographes, thèse passé , écriv nt des livr dout ux ur d s pays qu'ils n'ont jamai vu "· C tte ob rvation vaut malheureusem nt, mutatis ,nutandis, pour toute 1 s discipline .
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