Le Contrat Social - anno III - n. 2 - marzo 1959

112 va sans doute trop loin en affirmant (p. 50) que «toute initiative économique est liée à la propriété privée des moyens de production », affirmation contredite par l'exemple tangible des sociétés par actions dont les propriétaires en titre ne déploient aucune initiative. De même, on n'est pas obligé de souscrire à ce que dit K.-P. Schulz quant à l'impossibilité d'une société sans classes (pp. 57-59). Les exemples qu'il mentionne à l'appui de cette thèse (impossibilité de l'égalité pour tous, hiérarchie toujours nécessaire, besoin de différenciation enraciné dans la nature humaine) passent à côté du véritable problème qui consiste avant tout à définir ce qu'est une classe. La disparition des classes et de leurs antagonismes n'exclut nullement la pérennité de catégories sociales qui s'opposent et se combattent sans qu'il y ait entre elles l'irréductible polarité qui caractérise l'antagonisme de classe 8 : une société hiérarchisée (professionnellement, par les revenus, etc.) n'est pas nécessairement sujette à des antagonismes de classe. K.-P. Schulz consacre des réflexions intéressantes à l'internationalisme socialiste dont il constate avec regret l'affaiblissement. Il estime que c'est l'extension géographique de l'Internationale, débordant aujourd'hui de beaucoup la vieille Europe, qui a distendu les liens unissant autrefois les partis socialistes. Il remarque très justement que les partis socialistes <l'outre-mer, entraînés par la xénophobie, ne sacrifient que trop volontiers• à leur nationalisme les principes internationaux du socialisme et que leur attitude, exploitée par Moscou, est loin de contribuer au maintien de la paix. Il se demande si, faute d'une Internationale socialiste embrassant le monde, les partis socialistes européens, attelés à une tâche commune et immédiate (celle de faire l'Europe), n'auraient pas intérêt à ranimer « une Internationale plus petite, celles des pays libres d'Europe », qui ne s'arrêterait d'ailleurs pas à l'actuel rideau de fer. L'auteur rejette enfin cette survivance du socialisme utopique qu'est la notion du socialisme considéré comme « but· final ». Variant le célèbre mot de Bernstein (1897) : « Le mouvement est tout, le but final n'est rien », Schulz écrit (p. I 50) : «Le but est tout, mais ne se laisse jamais atteindre. » Cela correspond exactement à notre notion du «socialisme-asymptote» : on s'en rapproche sans cesse sans jamais l'atteindre. · LES DIFFICULTÉSdans lesquelles se débat le socialisme italien ont donné naissance à un document tout récent, intitulé «Thèses pour l'unité et la rénovation socialistes » 9 • Ces Thèses sont 8. Nous avons développé ce sujet dans notre dernier ouvrage : Problèmes actuels du socialisme, pp. 82-90. 9. La Critica sociale, revue bimensuelle, fondée par Filippo Turati, Milan, n° 22 (20 novembre 1958). . BibliotecaGinoBianco DÉBATS ET RECHERCHES un travail collectif d'une trentaine de collaborateurs (dont Rodolfo Mondolfo, Giuseppe Faravelli, Enrico Bassi, Ignazio Silone, Giorgio Galli) appartenant à des tendances diverses du socialisme italien et pénétrés de l'idée que le mouvement socialiste ne pourra jouer en Italie un rôle tant soit peu important que s'il parvient à surmonter· la scission qui le condamne pratiquement à l'impuissance et théoriquement à la stérilité. Les Thèses se ressentent évidemment de cette nostalgie de l'unité, unité irréalisable tant qu'une fraction si importante du mouvement socialiste (le parti de Nenni, corrompu et infesté d'agents de Moscou) continuera de faire la ·courte échelle au parti communiste. Les exigences de l'actualité la plus pressante inclinent ainsi les auteurs des Thèses à taire certaines objections qu'ils ont certainement formulées en leur for intérieur. Il en résulte, sur le plan politique, une « cote mal taillée» : on s'efforce de tenir la balance égale entre deux forces, on met entre guillemets le «monde libre » et le « camp socialiste » comme si le premier adjectif était aussi sujet à caution que le second, on ne dit pas à qui incombe la responsabilité de la division du monde en ces deux blocs, on affirme que le camp comm11niste est «lui aussi» conservateur, comme s'il existait une commune mesure entre le «conservatisme» relatif du pseudo-capitalisme actuel, voire du capitalisme barbare et authentique d'il y a un siècle, et la réaction absolue, pharaonique, de l'esclavagisme soviétique. Mais pour s'en tenir au plan doctrinal, constatons que le chapitre des Thèses traitant de la « carence théorique» du socialisme contient des indications qui s'apparentent aux préoccupations de Sternberg et de Schulz : nécessité d'un nouvel inventaire de la réalité présente à la lumière des transformations économiques et sociales ; analyse de la nature des régimes du bloc russo-chinois - ici on rejoint presque Sternberg qui parle d'une formation nouvelle, sui generis ; intégration des problèmes du mouvement socialiste des pays arriérés dans un programme socialiste internatio- ·nal (à confronter avec les vt1:esbien moins optimistes de K.-P. Schulz); problème du welfare state, que les Thèses considèrent comme «capitaliste » puisqu'elles jugent qu'il n'a pas modifié la structure des classes. Les Thèses se préoccupent d'un problème majeur que ni Sternberg ni Schulz n'ont soulevé : « le développement de la maturation prolétarienne et démocratique de la classe ouvrière retarde sur celui de la technique et de la production». , Là encore, les problèmes sont posés, et bien posés. Mais les socialistes démocrates italiens les auraient mieux définis et avec plus de précision s'ils s'étaient abstenus de rechercher la collaboration de ceux qui voudraient à tout prix tenir « la balance égale» entre la démocratie et le totalitarisme. Lucien LAURAT

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