80 Un clan s'attache aux faits, l'autre à la doctrine. Il n'y a pas d'apparence qu'ils finissent par s'entendre. Ils ne veulent d'ailleurs pas s'entendre : ils- veulent se combattre, et chacun songe à triompher de l'autre. Il n'est pas question de voir clair : on fourbit des armes. Si pourtant nous voulons voir clair, il faut reprendre nos prémisses. En les examinant avec attention, peut-être le rôle des partis s'éclairera-t-il quelque peu, puisqu'ils sont, dans la majeure, mis en relation avec la théorie, dans la mineure avec la pratique. Le premier point est de savoir ce que valent ces affirmations, et d'abord celle qu'exprime la majeure. * )f )f SANSPARTIS,point de. démocratie, c'est là une proposition que beaucoup, aujourd'hui, tiennent pour évidente. «Au x1xe siècle (...) la démocratie n'existait pas : la croissance des partis, et spé_; cialement des partis ouvriers, a seule permis une collaboration réelle et active du peuple entier aux institutions politiques». Ainsi s'exprime un théoricien contemporain 3 • Un autre écrit : «On ne peut concevoir la démocratie sans les partis politiques» 4 • C'était déjà l'opinion d'Esmein : «Il n'y a point de liberté politique sans partis » 5 • Cette opinion n'est cependant pas universelle. Et même tel la soutient, qui cependant formule ailleurs des propositions qui semblent la contredire : M. Duverger, à qui (!oc. cit.) « l'observation des phénomènes politiques)) montre qu'actuellement « la liberté coïncide avec le régime des partis))' a également affirmé que « la République parlementaire (...) a remarquablement fonctionné entre 1875 et 1914, où la France a probablement vécu l'un des meilleurs régimes de son histoire>> 6 • Mais avant 1914, si l'on en croit François Goguel, «ni à droite, ni à gauche, on ne rencontrait de partis véritables», et même « la place occupée dans la vie politique française par les véritables partis (...) se trouvait en somme encore nettement secondaire à la veille de la deuxième guerre 3. M. Duverger : Les Partis politiques, Paris 1951, p. 465_ 4. J .-L. Seurin : La Structure interne des partis politiques américains, Paris 1953, p. 1. Une formule presque identique se trouve chez un théoricien suisse antérieur : « Le fonctionnement démocratique de l'État ne peut se concevoir sans parti» (François Lachenal : Le Parti politique, Bâle 1944, p. 73). 5. Éléments de droit constitutionnel, 8e ~d., Paris 1927, t. I, p. 263. 6. Texte de 1950, repris par l'auteur dans Demain la Républîque, Paris 1958, p. 150. Maurice Duverger est peutêtre victime ici d'une illusion due à la distance. Un journal d'un tempérament politique analogue au sien écrivait le 1er septembre 1901 : « Devant le discrédit croissant et l'impuissance avérée du régime parlementaire, il faut trouver un remède autre que la dictature à cette situation, puisque le parlementarisme est la seule sauvegarde des libertés nécessaires » (l' Aurore, éditorial de Georges Lorand sous le titre : « Le referendum »). On n'aurait pas grand mal à trouver d'autres textes du temps allant dans le même sens. BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL mondiale » 7 • Devons-nous penser que le meilleur régime que la France ait connu n'était pas démocratique ? Ou qu'il a existé une démocratie sans «partis véritables » ? Il faut a~ m~ins reconnaî~re que la question n'est pas aussi claire que certams semblent le penser. Ici se présente une curieuse difficulté. Si nous voulons établir avec quelque rigueur une relation entre les partis politiques et la démocratie, il est évidemment nécessaire de savoir ce que sont les partis politiques et ce qu'est la démocratie. Or, en dépit de l'aisance avec laquelle nos théoriciens se prononcent là-dessus, il n'est pas certain qu'on puisse savoir ce que sont ceux-là et celle-ci sans longues recherches préalables. Encore pour les partis chacun de nous connaît-il quelques· exemples qui, à la vérité, ne permettent pas de formuler sans plus ample examen une définition précise, mais qui du moins nous donnent une première idée de ce dont il s'agit. Le cas de la démocratie est plus délicat. Quelques-uns diront peut-être : la démocratie, c'est le régime des partis. Mais comme c'est là justement ce qui est en discussion, il n'est pas possible de retenir cette définition. Il faut chercher autre chose. Une première voie nous est ouverte, qui serait de répertorier tous les régimes qui se sont dits ou ont été dits démocratiques, et d'examiner ce qu'ils ont de commun. Malheureusement, il est à peu près impossible de parvenir à rien par ce chemin-là. Ainsi, bien qu~ Staline ait proclamé la Russie soviétique l'Etat le plus démocratique du monde, il n'est pas douteux que la plupart des gens qui se disent démocrates m'interdiront de la faire figurer dans mon répertoire. Et si je prétends ne pas m'inspirer du seul stalinisme pour définir la démocratie, et chercher seulement les traits qui - lui sont communs avec les autres régimes qui se disent démocratiques, on me répondra que ces traits communs, à supposer qu'il y en ait, ne peuvent avoir aucun caractère démocratique. Il est d'ailleurs à remarquer que· si l'on interrogeait là-dessus des membres du parti communiste, ils seraient sans doute disposés à nier eux aussi toute analogie entre les démocraties «bourgeoises » et les démocraties «populaires», mais ce sont celles-ci, à leurs yeux, qui seraient les seules véritables. Et que dire des jésuites espagnols soutenant, dans un style d'une fougue romantique, que le seul vrai gouvernement démocratique est celui du général Franco 8 ? ,«L'hypocrisie, dit le moraliste, est un hommage que le vice rend à la vertu.» Ainsi apparaît-il que la démocratie a fort bonne presse. Mais la variété même des références à la démocratie nous interdit d'arriver à une définition 7. Le Régime politique français, Paris 1955, p. 19 et p. 83. 8. Cf. Razôn y Fe, n ° de mai 1946.
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