LES PARTIS ET LA DÉMOCRATIE par Yves Lévy I ( Le problètne au XVIIIe siècle XANTHOS le Samien qui souhaitait régaler ses amis de la meilleure des choses, Ésope servit de la langue. Et lo!sque Xanthos voulut la pire des choses, Esope lui servit encore de la langue. Nos partis politiques seraientils à nos yeux ce qu'était la langue pour le Phrygien? Depuis longtemps on entend médire des partis, de qui viendraient tous les maux qui accablent la nation. A quoi d'autres répliquent que, sans partis, il n'est point de démocratie. 11 est vrai que ces deux propositions ne sont ·pas contradictoires, elles se combinent même fort bien pour nous conduire à une conclusion : si la démocratie impliquait les partis, et que les partis fissent le malheur du pays, il faudrait en déduire que la démocratie fait le malheur du pays. Ce syllogisme est d'une telle rigueur qu'il semble que personne ne devrait le contester. Et seule devrait être discutée la validité des prémisses 1 • En fait personne n'aborde le problème de façon aussi claire. Les défenseurs des partis affirment sans s'y attarder que ceux-ci ne sont pour rien dans les malheurs de la patrie, et ils se retranchent sur leur position, c'est-à-dire sur la majeure : sans partis, point de démocratie. Quant aux autres, ils s'attachent avant tout à la mineure : tous nos maux viennent des partis. Ils n'accordent point d'attention à la majeure. A la vérité, on soupçonne les adversaires des partis de n'avoir pas grande inclination pour la I. Rappelons que le syllogisme se compose de trois propositions... Les deux premières sont les prémisses, qui ont nom respectivement majeure et mineure. La troisième est la conclusion. Dans le syllogisme considéré, la conclusion dépend de deux prémisses au conditionnel. 11 est clair que si l'une des conditions n'est pas vérifiée, la conclusion ne l'est pas non plus. Biblioteca Gino Bianco démocratie, et de toute façon ils ne s'intéressent guère à la doctrine. S'ils attaquent un système, ce n'est pas par raisons théoriques mais parce que, selon eux, ce système a échoué : les faits, disent-ils, le démontrent. Au rebours, les défenseurs des partis sont enclins à nier que le système ait un lien nécessaire avec l'enchaînement des faits. Si les événements ne sont pas heureux, le régime n'en est pas responsable, le malheur des temps s'explique par un récit historique - où les impondérables ne sont pas oubliés - par la déloyauté de tel ou tel, par la perfidie des adversaires. Sans doute, parmi ces champions du régime des partis, quelques-uns diront-ils que les dirigeants n'étaient pas bons, tandis que d'autres soutiendront que les dirigeants étaient fort bons, mais furent desservis par les circonstances : quoi qu'il en soit, les uns et les autres concluent que le système n'est pas en cause. La démocratie doit être défendue pour elle-même, elle vaut par ellemême, indépendamment de toute expérience. Et démocratie signifie partis. Indépendamment de toute expérience. C'est une question de principe 2 • 2. Les démocrates semblent penser que, la démocratie étant moralement le meilleur régime, elle ne peut manquer de l'être pratiquement. Si dans certains cas il en est autrement, il y a des responsabilités à établir : la théorie ne peut avoir tort. Ainsi les démocrates tombent-ils dans une étrange contradiction, car ils admettent que des volontés mauvaises puissent faire obstacle aux meilleures institutions. Leurs adversaires, qui paraissent beaucoup moins doctrinaires, attribuent pourtant aux institutions une influence décisive sur les événements. Mais c'est que, sous quelque régime que ce soit, les adversaires du régime attribuent aux institutions tout ce qui survient de mauvais, tandis que les partisans de ce régime sont enclins à ne mettre en cause que les hommes. On est doctrinaire pour attaquer les institutions, historien pour les défendre.
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