B. DB JOUVBNBL des États-Unis a conservé ce caractère hérité de la période de formation des institutions européennes, c'est probablement parce que la vie politique américaine est restée très proche du système monarchique. Un roi élu est le chef indiscuté de tout l'appareil d'État, lequel s'est développé dans de telles proportions que les commissions du Congrès en connaissent souvent mieux la marche que le chef de l'exécutif luimême. Mais c'est là une question que nous n'a- , . vons pas a traiter. Notre propos est d'indiquer la place des institutions parlementaires dans l'histoire des États européens. Des représentants étaient convoqués au palais, non pour partager ou assumer les fonctions gouvernementales, mais pour servir de médiateurs entre le gouvernement et le peuple : s'ils devaient persuader celui-ci que les moyens demandés par celui-là étaient nécessaires, ils avaient aussi pour tâche de contrôler le gouvernement, de s'assurer que les moyens accordés étaient utilisés en vue de fins déterminées. Là où l'Assemblée a empiété sur l'autorité gouvernementale, elle a perdu à la fois sa puissance de persuasion auprès du peuple et son pouvoir de contrôle sur l'administration. L'esprit du libéralisme « Gouvernement du palais », avec un appareil d'État ramifié, et « gouvernement du forum» dans de petites nations, sont deux phénomènes fort anciens dans l'histoire de l'humanité. L'originalité des institutions européennes réside dans le rôle régulateur du gouvernement du palais et de l'appareil d'État. L'étendue des royaumes faisait admettre que les décisions dussent être prises en haut lieu ; une vague notion de la division du travail permettait en même temps de confier le gouvernement à des spécialistes occupés « à plein temps » et non à des amateurs appelés à tour de rôle, comme dans la cité grecque. La première préoccupation n'était donc pas de participer au gouvernement, mais de veiller à ce que les affaires gouvernementales fussent conduites avec le souci de respecter et de défendre les intérêts des sujets. Dès l'origine les droits coutumiers s'étaient affirmés, mais il était souhaité que des « droits » idéaux fussent aussi reconnus. J'oserai dire que les institutions politiques de l'Occident naquirent du désir des Européens d'assurer leur sauvegarde et leur liberté personnelles et de ne se sentir en rien gênés ou brimés par les professionnels de la politique. A cet égard, le rôle joué par les corps judiciaires français avant et après le règne de Louis XIV est révélateur 2 • Le nom de « Parlement » - 2. Il est dommage pour la science politique que les pays de langue anglaise n'aient, à ma connaissance, aucune idée prkise du rôle joué dans les affaires françaises par les « Parlements•· On ne peut comprendre la Révolution française si l'on ne connaît pas l'histoire du conflit entre pouvoir exécutif et corps judiciaires. Biblioteca Gino Bianco 69 chaque province ayant le sien - que l'on donnait à ces corps peut induire en erreur. Il évoque pour nous des représentants élus ; or ceux qui constituaient les corps en question n'étaient nullement élus et ne représentaient personne; c'étaient les juges du roi (pour parler de manière générale, car ils avaient des fonctions multiples). Nous parlerons donc de préférence de « corps judiciaires». Avec l'approbation populaire ceux-ci assumèrent une fonction de contrôle pour laquelle ils n'étaient pas habilités. Ils décidèrent qu'il était de leur devoir d'adresser des injonctions, et même d'opposer leur veto, aux représentants du pouvoir qui, selon leur opinion, se trompaient. Ils prirent enfin le droit de passer· outre aux décisions royales de caractère financier ou législatif. S'ils estimaient qu'un édit royal était contraire à la coutume, au droit naturel, ou lésait d'une certaine manière les droits légitimes des sujets, ils refusaient de l' « enregistrer » et le rendaient par là même . , 1noperant. Quelle était la justification de pareille conduite ? Ne pouvant se prétendre mandatés par le peuple - ils ne l'étaient pas - les corps judiciaires prétendaient du moins que leur devoir était de veiller à ce que les institutions gouvernementales répondissent à leur fin, celle-ci étant, d'après eux, la préservation et la satisfaction des intérêts individuels. Ces corps judiciaires bénéficièrent à la fois du soutien des « intellectuels » et de celui des «masses» à un degré que ne connurent jamais les assemblées françaises, élues et souveraines, du x1xe et du xxe siècle. Cela ·parce qu'ils étaient les gardiens des intérêts privés de tous. On ne croyait pas alors que la liberté fût le droit sans limites d'un individu d'exercer une influence ou de parvenir au pouvoir; la liberté, c'était la certitude que le pouvoir ne serait assumé que pour le maintien et l'extension des libertés privées. Il est intéressant de noter que le Contrat social fut mal reçu par les «progressistes » du temps. Rousseau avait dans l'esprit la Cité antique et il souhaitait voir chacun participer au gouver- , • • r A • , nement, mepr1ser ses mterets prives pour ne penser qu'au bien public, abandonner ses droits personnels dans l'intérêt général. Pourquoi les progressistes furent-ils cl1oqués à l'époque ? C'est que, pour eux, le problème était tout différent : ils considéraient la défense des intérêts individuels comme inévitable, naturelle, conforme au développement social. Ils pensaient que les institutions politiques avaient pour fin le contrôle des affaires publiques, la préservation des intérêts et des droits individuels. Le point de vue de Benjamin Constant S1 MONTESQUIEUet Tocqueville sont les écrivains politiques français les plus universellement connus, Benjamin Constant fut au moins leur égal. Sa doctrine s'inspirait de son activité à la fin de la Révolution et plus tard sous la Restauration, lorsqu'il devint un des chefs du parti
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