Le Contrat Social - anno III - n. 2 - marzo 1959

Q!I'EST-CE Q!IE LA DÉMOCRATIE II par Bertrand de Jouvenel Le système représentatif ,____ 'EST un monstrueux contresens historique de concevoir l'apparition du système représentatif comme la conséquence de la volonté populaire de limiter le pouvoir des rois ou d'assumer leurs fonctions. En fait, les institutions représentatives se développèrent parce que les rois n'avaient pas les moyens de remplir leurs fonctions ou de satisfaire leur ambition. Considérons un gouvernement qui fait appel, de nos jours, aux dirigeants des grandes sociétés et aux chefs syndicaux pour demander aux premiers de lutter contre la hausse des prix, aux seconds de convaincre leurs adhérents de mettre une sourdine à leurs revendications. Que se passet-il en réalité ? Le gouvernement essaie d'utiliser des influences étrangères à des fins qui lui sont propres. Les délégués patronaux ont pris la place des nobles, les leaders syndicaux celle des représentants de la bourgeoisie, enfin il s'agit d'empêcher la montée des prix et non plus d'obtenir des impôts. C'est ainsi que naît un parlement. A l'origine, les parlements n'avaient pas leur principe dans la volonté du peuple de limiter un pouvoir royal excessif, mais bien dans le désir du souverain d'obtenir ce que lui intei:disaient les seuls moyens à sa disposition. Quand Edouard III d'Angleterre déclencha ce qui devait être la guerre de Cent Ans, le roi de France fit le tour de son royaume pour expliquer à ses sujets les dangers de la situation et les supplier de lui accorder les subsides en hommes et en argent nécessaires à la lutte. Sans doute eût-il été plus simple que des représentants se rendissent auprès du monarque, mais le but restait le même. Fondamentalement, il y avait le fait que le roi n'avait pas pouvoir pour décider des impôts et des levées d'hommes 1 • La France ne connut l'impôt permanent que comine un~ séquelle de la guerr~ Biblioteca Gino Bianeo de Cent Ans et la monarchie ne posséda jamais le pouvoir de lever une armée. Celui-ci ne fut instauré que par la Révolution française; nous aurions pu ne jamais connaître ce déplorable ' « progres ». On répondait de mauvaise grâce aux convocations du Parlement parce que l'on savait y être appelé pour consentir des sacrifices. Le Parlement était une assemblée de contribuables. Les nobles venaient en personne, le tiers état était représenté par ses députés. Tous arrivaient de mauvaise humeur, peu désireux d'accorder les subsides demandés, prêts à exiger explications et justifications, à s'arroger le droit de critiquer politique et mesures administratives. D~s le monde contemporain c'est le Congrès des Etats-Unis d'Amérique qui demeure le plus fidèle à l'esprit de l'institution parlementaire à ses débuts. Au Sénat et à la Chambre des représentants est assignée la tâche de limiter les besoins d'argent de l'exécutif, mais leur rôle consiste plus spécialement à surveiller les agissements de l'État. Ils remplissent exactement la fonction premièrè des corps représentatifs. Si le Congrès 1. Rappelons que le roi, au Moyen Age, devait assurer de ses propres deniers l'entretien de son établissement ou «État» (d'où le nom). En tant que seigneur, ses terres devaient lui permettre d'entretenir sa maison, les gens à son service, et de remplir ses fonctions publiques. Il n'avait le droit de demander des « subsides » à ses sujets que dans des occasions extraordinaires. Il faut souligner l'évolution de ce terme, « subsides » : il désigna d'abord un don des sujets à leur souverain qui devait le mendier, non pas l'exiger ; c'est aujourd'hui une aide accordée par l'État à certains citoyens. Remarquons également le terme « exactions », utilisé pour toutes les formes d'impositions, tout ce qui est exigé par un pouvoir supérieur. Tous les impôts sont à proprement parler des « exactions ». Pour donner une image concrète du système féodal nous devrions dépeindre un gouvernement contraint, de nos jours, à vivre ~ur les propriétés de l'État : la France et l'Angleterre, par exemple, obligées de vivre sur les bénéfices des jndustries natioq~µ~é~s.

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