Le Contrat Social - anno III - n. 1 - gennaio 1959

56 du Parti américain, de ses missions d'espionnage ni de ses ressources financières. Ils évoquent les origines du Parti au sein du mouvement socialiste et décrivent les premières années de son histoire : les luttes entre les factions ; la tentative d' enrôlement, en 1924, du candidat indépendant à la présidence, le sénateur La Follette, et le fiasco qui s'ensuivit ; les manœuvres dans les syndicats et la politique dite « dualiste » (c'est-à-dire la création de syndicats indépendants aux ordres des communistes) ; enfin, parallèlement, la stalinisation progressive du Parti. Howe et Coser accordent beàucoup d'attention aux années 1930, en traitant de l' « ultra-gauchisme » (la ligne « classe contre classe », qui fut suivie jusqu'en 1935), du glissement vers la gauche de nombreux intellectuels, enfin des années de « Front populaire», à partir de 1935. Puis les· auteurs mènent leur récit jusqu'à nos jours et terminent par une longue analyse théorique : « Vers une théorie du stalinisme ». Ils ne cachent pas leur· regret que « les Origines du communisme américain », de Théodore Draper, et « le Parti communiste contre le C I O », de Max Kampelman, « deux études excellentes », aient paru trop tard pour qu'ils pussent les consulter. Le livre de Draper, premier d'une série, promet d'être l'ouvrage définitif sur la question et la lecture de l'étude de Kampelman s'impose à quiconque s'intéresse au mouvement ouvrier américain. L'un et l'autre de ces ouvrages, à notre avis, auraient été extrêmement utiles à nos auteurs, ce qui n'ôte rien au mérite propre de ceux-ci. Encore que la documentation sur la question soit d'ores et déjà abondante, il n'existait jusqu'ici aucun modèle sur lequel les auteurs pussent s'appuyer et l'originalité de leur entreprise n'est .pas contestable. Certes, en insistant ~ur tel ou tel aspect, en rappelant tel détail ou en passant tel fait sous .silence, ils risquent de s'attirer quelques critiques. ·Il n'empêche que leur ouvrage est à la fois riche d'enseignement et extrêmement bien écrit. Cela dit, on doit se demander si Howe et Coser possèdent une vue suffisamment claire et complète des réalités américaines, et .surtout de la situation telle qu'elle se présentait avant qu'ils ne participent eux-mêmes à la vie politique et littéraire du pays. Ils ne parviennent pas à situer le communisme dans la vie américaine, et notamment à expliquer la position des «libéraux» * à son égard. Même reproche en ce qui JZOncerne le climat social et littéraire des arihé€s 20, qui amena les * Rien de plus complexe que la notion de « libéralisme » dans le contexte politique américain. Parmi les définitions proposées par le lexicographe américain Webster, on trouve les formules traditionnelles : « Ouvert aux idées nouvelles, partisan de réformes dans l'ordre constitutionnel ou administratif.» Mais ce sont encore les déterminations purement n~gatives qui caractérisent le mieux l'esprit « libéral » aux Ét~t;s-Unis : « d'opinion indépendante » ; non conservateur ». Liberalism, souvent, est simplement synonyme de « gauche », parfois d' « extrême gauche •· ( N.d.l.R.) Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL intellectuels d'âge mûr à s'orienter vers la gauche. Nombre des jeunes écrivains d'aujourd'hui croient voir un abîme entre les années 20 et les années 30. De là vient qu'ils comprennent mal l'une comme l'autre de ces périodes. * Pour Howe et Coser, le glissement à gauche de l'intelligentsia s'explique surtout par l'« aliénation » - application inédite du fameux concept marxien. Si l'explication a une certaine valeur, elle réserve aussi des pièges, comme toute généralisation. Nombre d'intellectuels furent des révolutionnaires, ou tout au moins de tendance extrémiste, dès avant 1929. Les désillusions de l'aprèsguerre, la menace d'une deuxième guerre mondiale encore plus dévastatrice, l'affaire SaccoVanzetti, l'expérience décevante du «libéralisme »· (beaucoup de «libéraux» de l'ancienne généi;ation avaient soutenu Wilson pendant la première guerre mondiale), la forte attirance exercée par l'Union soviétique, autant de facteurs décisifs d'influence sur cette génération. . D'une manière générale, l'importance des années 20 aux États-Unis est fort mal comprise. A côté des hommes de lettres qui faisaient profession de mépriser· 1a politique, on trouvait alors dans les universités une génération montante orientée _versla philosophie, l'économie politique, la sociologie, la science politique, l'histoire. Parmi les jeunes, certains, dès cette époque, firent une courte expérience du communisme. D'autres, fidèles à un idéal de liberté et de vérité, ne considéraient pas l' « aliénation » comme un fardeau; au contraire ils l'assumèrent délibérément, se détournant par ce choix même du monde de Babbitt. Certes, Howe et Coser tiennent compte de tels facteurs, sans toutefois leur accorder toute l'importance qu'ils méritent. ·D'autre part, pendant les années 30 et surtout jusqu'au début de 1936 où la ligne «Front populaire» fut adoptée, l'intelligentsia américaine était des plus divisées, chaque question étant débattue avec acharnement. Dans l'ensemble c'étaient les médiocres qui suivaient les directives du Parti en littérature. Mais il y eut aussi d'autres influen- . . * Dans les années 20, le culte de la « lucidité », de la « dureté», lié à une profonde naïveté politique, est à l'origine de l'adhésion de maints intellectuels au parti commu- . niste. Un autre élément fut le manque de documentation sur' le cours réel des événements en Union soviétique. Non seulement il y eùt les voyageurs qui s'abusèrent euxmêmes, mais il y eut ceux -qui dénaturèrent les faits, à la fin des années 20 et au début des années 30. Un exemple remarquable est la suppression des informations sur 1~ famine de 1930-33 ; il n'était guère question non plus dans la press'e des camps de travail forcé et du régime concentrationnaire. Dans les documents présentés aux intellectuels « libéraux », la vérité était souvent cachée et parfois tout simplement traitée par le mépris. Des journalistes, plus tard, l'ont avoué. Howe et Coser ne semblent pas comprendre que le manque relatif d'information fut une cause du glissement des intellectuels à gauche. Ils reconnaissent les services rendus à cet égard par Max Eastman, mais se permettent une remarque de fort mauvais goût à propos de sa collaboration ultérieure au Reader' s Digest : c'est le seul impair de ce genre que j'aie trouvé dans leur livre.

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