Le Contrat Social - anno III - n. 1 - gennaio 1959

M. COLLINET Crises et révolutions Ce que décrit Marx dans sa théorie de la révolution, ce sont en fait les crises cycliques qui frappent l'Europe industrielle depuis 1815. Pour lui la révolution sociale n'est autre chose que l'effet politique de l'engorgement des marchés par une production surabondante, l' épiphénomène d'un centre purement économique et qui tient à la structure même de l'industrie capitaliste. Sismondi avait souligné le rôle de la sous-consommation ouvrière dans la genèse des crises. Dans le Capital, Marx tend à montrer que cette sousconsommation ne peut que grandir avec l'accroissement des forces productives. Les crises en portent témoignage dans la mesure où elles entraînent chômage et baisses de salaires et suscitent par réaction une lutte de classes dirigée en fait, sinon en esprit, contre le système de la propriété bourgeoise. La lutte de classes spontanée, déterminée par la contradiction entre les forces productives et le régime trop étroit de la propriété, doit se transformer en lutte révolutionnaire consciente sur le terrain de la révolution politique. Marx avait noté que les crises industrielles en Angleterre s'accompagnaient de troubles ouvriers et qu'elles avaient même provoqué la naissance du parti prolétarien, le chartisme. La crise de 1847-48 sembla. confirmer les vues de Marx sur la liaison étroite entre les crises cycliques et les possibilités révolutionnaires de la classe ouvrière. Certes, par sa force d' expansion et la diversité des problèmes politiques soulevés, la révolution de 1848 ne .peut pas être réduite à un simple épiphénomène de la crise économique. Pour l'expliquer, on doit remonter à _l'époque où Napoléon administrait l'Europe et y jetait les germes du nationalisme et du libéralisme. Mais la crise économique de 1847 fut à la fois l'occasion de la chute des trônes européens et celle des revendications ouvrières en France et en Angleterre; elle combina les effets d'une famine agricole caractéristique de l'époque précapitaliste avec ceux de la surproduction et du suréquipement spéciaux au capitalisme développé, en particulier dans les chemins de fer. Son extraordinaire intensité fit dire à Engels dès 1847 que « la suppression de la propriété privée est devenue aujourd'hui non seulement possible, mais même absolument nécessaire » 13 • En outre la crise de 1847 survenait au terme d'une forte concentration industrielle qui avait liquidé l'artisanat rural et provoqué d'énormes transferts de population de la campagne vers la ville. La révolution est liée aux crises : cette idée devient un postulat dans la conception de Marx. Le capitalisme doit sombrer dans une crise inévitable, 9u'on ne peut ni freiner ni accélérer. « Les tentatives de la réaction pour enrayer l'évolution bourgeoise seront aussi inutiles que la 13. Cat,chi,me communi1te, ouvrage qui pr~c~da le Mani/11t, communi1t, des deux auteurs. Biblioteca Gino Bianco 43 vertueuse indignation et les proclamations enflammées des démocrates, écrit-il en novembre 1850. Une nouvelle révolution n'est possible qu'à la suite d'une nouvelle crise. Mais celle-là est aussi certaine que celle-ci. » 14 Dans son exil londonien, Marx attendait fébrilement la nouvelle crise. Elle éclata en août 1857 aux États-Unis, après une abondante récolte en Europe qui ruina les fermiers américains. Les spéculations sur les chemins de fer provoquèrent l'effondrement des titres et la faillite des banques · anglaises et européennes. Crise vraiment mondiale et de type purement capitaliste : « Le krach américain est superbe et pas près de finir ... Le commerce est dès maintenant paralysé pour trois à quatre mois. Nous avons maintenant de la chance», écrit Engels à Marx le 29 octobre 1857 (souligné par nous). Dans les mois qui suivent, la correspondance entre les deux amis est axée sur ce sujet et chaque lettre reflète leur espérance des mouvements révolutionnaires que la crise devrait inévitablement déclencher. Engels écrit : « En 1848 nous disions : Voici venir notre temps ! Et il est venu -d'une certaine façon. Mais à cette heure, il vient complètement ; il s'agit d'une lutte à mort. Mes études militaires en deviennent immédiatement plus pratiques » (13 novembre 1857). Puis Marx : « Je passe mes nuits à travailler comme un fou au résumé de mes études économiques; je voudrais au moins en avoir fini avant le déluge avec les éléments fondamentaux » (8 décembre 1857). Le déluge ne vint pas. La crise était terminée au début de 1858, un an avant la Pré/ ace, sans avoir provoqué la moindre secousse révolutionnaire. Deux époques du capitalisme AUCUNEdes crises cycliques postérieures à 1850 n'amena une recrudescence des luttes ouvrières et a fortiori les prodromes d'une révolution sociale. Bien au contraire, les crises diminuant l'emploi ou réduisant la durée de la semaine de travail sont des freins parfois très puissants aux luttes ouvrières. De nos jours, il n'est pas un militant syndicaliste qui ne le sache. L'année 1850 marque une coupure entre deux époques du capitalisme. Dans la première, l'accumulation se fait directement aux dépens des salariés et particulièrement des journaliers agricoles en surnombre qui affluent vers les villes. Les enquêtes sociales faites en 1840 le prouvent abondamment. En même temps, cette accumulation a écarté des industries de consommation et jeté dans le prolétariat les artisans et les ouvriers à domicile. Après 1850, leur élimination de la fabrication courante est presque terminée. La poussée démographique a cessé dans les campagn s et limité l'émigration vers la ville. ----- 14. Neue Rh inisch, Z irun1, n° 4 de la revue porta. t ce titr aprè la di p rition du Journal d, 0l01ne.

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