40 rendre acceptable. Dilemme qu'après lui se sont posé les marxistes de diverses obédiences et qui fut à l'origine de discussions et de scissions politiques, tant il est vrai que la préface de 1859 a été considérée comme un texte sacré par les uns et les autres. Un déterminisme économique SCHÉMATIQUEMENT, la, Préface contient deux dispositions essentielles : une affirmation du déter-· minisme économique et une théorie abstraite et non moins déterministe de la révolution sociale. Marx y expose ce qu'a été le fil conducteur de sa conception historique des rapports économiques entre les hommes : «Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté » (souligné par nous). Ce déterminisme unilatéral, qui fait de l'homme un produit de son milieu économique, ne se limite pas à l'infrastructure constituée · par ces rapports de production; il s'étend aussi à ce que Marx nomme «la superstructure juridique et politique à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées». Marx conjugue d'ailleurs sans les distinguer les verbes «conditionner» (bedingen) et «déterminer» (bestimmen). C'est ainsi qu'il écrit : cc Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de · vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c'est inversement leur être social qu-i détermine leur conscience. » . . . En prenànt à la lettre l'affirmation que les formes de conscience sont nécessairement adaptées à la structure des rapports de production et aux forces qui les ont fait naître, il est clair que les hommes n'ont pas de problèmes à résoudre, ni même à poser. Dans ces conditions, la proposition suivante : cc C'est pourquoi l'humanité ne se pose jamais que des problèmes qu'elle peut résoudre», en est la conclusion logique autant qu'inutile. Elle implique en effet que. la conscience cc déterminée » par le mode de production n'acquiert pas une autonomie suffisante à l'égard de celui-ci pour en vouloir le bouleversement complet avant que ce même mode de production ne se soit désagrégé spontanément. Elle justifierait entièrement ce qu'on appelle aujourd'hui une attitude réformiste, une.--ad.aptation de l'esprit à une évolution lent€ et 'réversible des structures · économiques, un refus de chercher des formes originales- aux relations· humaines. En même temps qu'elle condamne le socialisme utopique en ce qu'il soulève des problèmes impossibles à résoudre, elle s'oppose à certains passages du Manifeste communiste prévoyant une révolution prolétarienne dans l'immédia~, et plus généralement à l'impatience révolutjonnaire des proscrits réfugiés à Londres, compagnons deMirx Qall5 la Liguede§çomm1,1ni§tes. Biblioteca Gino Bianco ANNIVERSAIRE Rupture avec le romantisme révolutionnaire On peut ajouter que la préface de 1859 est, dans l'ensemble, un pamphlet contre le romantisme révolutionnaire si durement éprouvé lors des journées de 1848. Dans l'esprit de Man:, elle devait apparaître comme la justifiéâtion théorique de s~n propre comportement cc réformiste » durant la révolution allemande et de sa rupture avec la Ligue., Les prévisions du Manifeste avaient reçu partout un démenti brutal. En France, l'infime minorité révolutionnaire constituée par le prolétariat parisien avait été écrasée en quelques jours; en Angleterre, le chartisme avait sombré dans le ridicule ; en Prusse, la classe ouvrière n'avait , pas réclamé le comm11nisme mais un retour pur et simple a11xcorporations médiévales. Aussi Marx, dans son Journal de Cologne, ne trouva-t-il rien d'autre à dire que ces paroles , résignées : «Nous disons aux ouvriers et aux petits-bourgeois : souffrez dans la société bour- · geoise qui crée par l'industrie les moyens matériels pour la fondation d'une société nouvelle, libératrice pour vous tous. » Les for ces productives deviennent les seuls moteurs de l'histoire et les hommes n'ont qu'à attendre l'avènement du millenium industriel. Quant aux révolutionnaires dont le tort fut de rester fidèles au programme élaboré quelques mois plus tôt par Marx et Engels, ils se viren.t accusés d'idéalisme, de cc faire de la simple volonté la .force motrice de la révolution ». · En quelques mots, Marx rejetait le mythe de la révolution dans un avenir indéterminé, quand les hommes et particulièrement les ouvriers se seraient eux-mêmes transformés. Aux activistes de la révolution, il lança cette phrase méprisante : cc De même que les démocrates ont fait du mot peuple une entité sacrée, vous faites, vous, une entité sacrée du mot prolétariat. Tout comme les démocrates vous substituez à l'évolution révolutionnaire la phraséologie révolutionnaire. » 5 Un prologue au << Capital >> ' . AYANT ROMPU avec les communistes allemands et les blanquistes français - malgré l'admiration qu'il avait montrée pour leur passion· révolutionnaire et leur courage - Marx confie à l' évolution du mode de production non seulement la préparation des conditions matérielles de la révolution sociale, mais aussi la détermination des volontés humaines en les rendant aptes à saisir efficacement les circonstances favorables qu'elle ·d'oit leur préparer. Cette détermination est pour lui d'autant plus certaine que « le mouvement de la pensée n'est que la réflexion du mouvement réel transporté et transposé dans le . . 5. Discours au comit~ central de la Ligue d~s çommu- . nistes (sept. 1850): Cit~ dans les biographies de Mal'xrar · Frani Mellriiis <J>, a~?~ ci DQril Niçolaïçv~ki ~f• 18a).
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