18 soit intervenu lui-même (avec succès) pour que l'on retranchât de la liste des citoyens 4.000 personnes, ·soit un dixième au moins de l'ensemble, parce qu'elles ne pouvaient prouver qu'elles étaient nées de père et de mère athéniens. Imaginez Franklin D. Roosevelt intervenant pour retrancher de la liste des citoyens américains ceux qui sont nés à l'étranger. Cet exemple marque la différence entre les deux points de vue. Pour les Athéniens, un résident étranger demeurait un étranger, ses enfants demeuraient étrangers, même si la plupart du temps ils étaient Grecs. Par cette discrimination, étrangère à notre compréhension de la démocratie, l' «unité morale » était préservée. Même alors l'homogénéité souhaitée ne pouvait être réalisée. L'évolution sociale la rendait impossible. Le développement du commerce maritime provoquait la montée d'une classe de financiers d'un côté, d'une classe de navigateurs de l'autre. Alors qu'au début de la guerre du Péloponèse les trois quarts des citoyens étaient des propriétaires terriens, la spoliation des terres par l'ennemi obligea les paysans réfugiés à la ville à trouver des occupations urbaines. La population perdit son unité et il faut remarquer qu'après Périclès, qui descendait d'une ancienne famille de propriétaires terriens, les leaders de « la gauche» se recrutèrent de plus en plus parmi les entrepreneurs, comme Cléon, et finalement parmi les artisans, comme Cléophon qui fabriquait des lyres. La diversification sociale crée une division des intérêts qui s'opposent au processus de constitution et d'accroissement d'une majorité vers l'unanimité finale. Cependant les hommes défendent moins ardemment leurs intérêts que leurs croyances. La différence des croyances, qui est un élément aussi important de la vie sociale que la diversification des intérêts, est plus responsable encore des divisions. On peut difficilement espérer que l'évolution sociale permette. le maintien d'une homogénéité essentielle à l'unanimité nationale. C'était l'avis de Rousseau que la démocratie telle que nous l'avons décrite est inapplicable à . , , , une soc1ete avancee. Trois formes de gouvernement LES TROIS formes de gouvernement que définit Aristote sont également «naturelles», c'est-à-dire conformes à la nature humaine. Il est «,!la~rel » qu'un homme doive exercer une autorit.é,,.âdmisesur un groupe, qu'une autorité «patriarcale» et des liens de parenté soient la source de cette autorité. Il est également naturel que des «patriarches» constituent un « Sénat des anciens». Il est enfin «naturel» que certains des anciens incitent ceux qui sont soumis à l'autorité patriarcale à quitter les formations traditionnelles et à constituer une formation territoriale commune. Si l'on pense que je m'appuie sur la légende, je ferai remarquer - qu'il Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL existe de nos jours des « quasi-communautés », même dans les pays les plus avancés, qui en sont restées au stade patriarcal et sénatorial, les syndicats par exemple. Les syndicats ont souvent un gouvernement personnel patriarcal et leurs confédérations présentent bien des traits d'un «Sénat des anciens». Ce qui est commun à toutes les formes naturelles de gouvernement c'est l'absence d'« organismes gouvernementaux ». Aussi longtemps que font défaut des «organismes gouvernementaux » spécialisés, disciplinés, l'exécution des décisions reste entre les mains des membres de la communauté eux-mêmes. Cela donne à l' «assentiment agissant» un rôle qu'il ne joue pas dans une , . . , communaute mieux orgarusee. Les organismes gouvernementaux En un sens que nous devons maintenant expliquer, une décision est démocratique aussi longtemps qu'il n'y a pas d'organismes d'exécution spécifiques. Il importe peu, que la décision soit prise par tous, par quelques-uns ou par un seul, tant qu'elle est mise en pratique par la -coopération agissante de tous. La -décision présumée être celle de tous sera exécutée par tous. Mais la décision prise par plusieurs ou par un seul demeurera lettre morte si elle n'est pas mise en pratique par tous. La seule manière de l'exécuter sans l' « assentiment agissant » de tous, c'est de disposer d' «organismes gouvernementaux » qui obéissent à l'auteur de la décision. Il y a donc beaucoup moins de différence que nous ne sommes habitués à en voir entre les formes d'organisations tant qu'elles sont dépourvues d'organismes d'exécution spécifiques. Un roi, chez Homère, ·dépend autant de l'opinion de ses sujets qu'un leader de la démocratie athénienne de celle de ses concitoyens. Tant qu'il n'y a pas d'« organismes gouvernementaux», l'autorité, quel que soit son dépositaire, a le pouvoir que lui prête l'opinion, ni plus ni moins. Le peuple n'est pas réellement «soumis» à un_ roi sans organismes gouvernementaux, c'est le roi qui est «soumis » au bon vouloir de ses sujets. S'ils consentent à lui obéir, la relation .qu'ils ont avec lui n'est p·as différente de celle qu'ils auraient avec un orateur populaire qu'ils accepteraient de suivre. La différence réside dans les sentiments du peuple ; il n'y en a pas dans l'essence de l'autorité qui est toujours le pouvoir d'obtenir un assentiment agissant. __ Un ch~gement beaucoup plus· important apparaît avec les organismes _gouvernementaux parce qu'alors la décision, quel qu'en soit le promoteur, peut être exécutée de plus en plus facilement sans l'assentiment agissant _des individus et se satisfait de leur soumission passive. Les dirigeants, populaires ou couronnés, étaient immergés dans la foule et leur pouvoir dépendait de leur capacité à l'émouvoir ; ils ne constituaient donc pas un gouvernement, au sens moderne
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