Le Contrat Social - anno III - n. 1 - gennaio 1959

B. DE JOUVENEL Le tableau de la démocratie athénienne s'anime à la lumière d'un événement grave tel que l'entrée en guerre. Des orateurs favorables et hostiles à la guerre prennent la parole à l'Assemblée. Si celle-ci se décide pour la guerre elle élit pour conduire les opérations ceux qui ont fait impression sur elle. En conséquence le peuple - au moins ceux qui ont l'âge de faire la guerre - s'arme pour suivre les généraux qu'il a choisis dans une campagne qu'il a décidée. Peut-on trouver une situation équivalente dans le monde moderne ? La seule qui vienne à l'esprit c'est une grève imprévue, .quand les travailleurs d'une usine, malgré leur syndicat, se rassemblent et décident un arrêt de travail qu'ils exécutent aussitôt. Cela est considéré selon les critères modernes comme relevant d'une conduite désordonnée, ce qui souligne la divergence entre nos idées et celles des Grecs. Le système grec avait le mérite de donner aux citoyens l'impression d'être responsables de la décision de la cité. Leur participation à la décision était renforcée par leur participation à son exécution. Il se trouvait sans doute une minorité opposée à l'une et hostile à l'autre, mais aussi longtemps qu'il y eut une communauté homogène de paysans, les minoritaires étaient psychologiquement emportés par la masse des autres. Ils ne s'organisaient pas en minorité, et les factions ne sont apparues qu'avec l'essor commercial d'Athènes et le déclin de l'agriculture qui en résulta, après la guerre du Péloponèse. Rousseau, ardent champion de la démocratie pure, s'étend longuement sur la corruption qu'entraînent des intérêts rivaux et la formation des factions, phénomène que nous considérons aujourd'hui comme inhérent à la démocratie. 2 C'est un signe de plus que la notion de démocratie s'est notablement transformée. Le problème du développement de l'hétérogénéité Ce qu'en Occident nous entendons couramment par démocratie ne peut être facilement résumé et se révèle presque indéfinissable. Mais si nous demeurons attachés à l'étymologie et à l'acception historique de ce terme chez les Grecs auxquels nous l'avons emprunté, la démocratie est facile à définir : régime où toutes les décisions qui regardent les intérêts et l'équilibre interne de la cité sont prises en commun et sont exécutées par chacun en particulier. D'un point de vue éthique, il y a beaucoup à dire sur ce système dans lequel le « moi » intervient toujours activement dans l'intérêt du « nous ». Sur le plan formel, il ne _peut y avoir conflit entre le gouvernement et l'individu, puisque le gouvernementest la totalité des individus. Naturellement, • 2. J .-J. Rou s au : l)u Cu11tral SIJciJl, liv. 4, cl ap. I. Biblioteca Gino Bianco • 17 en pratique, un individu donné peut être en désaccord avec la majorité, choqué par sa décision et atteint par l'exécution de cette dernière. Mais en idéal il ne devrait pas y avoir de « majorité » au sens actuel, simplement un « sens de la communauté» comme l'ont les Quakers. Je vais donner un exemple. Le Comité qui a organisé la conférence à laquelle nous participons est formé de gens qui ont des idées communes, la même conception du bien et qui se respectent les uns les autres. On doit prendre des décisions. Dans une discussion préliminaire, j'émets mon opinion et je la défends. Mais si la décision lui est contraire je ne me sentirai pas dominé, diminué, écrasé. Mon opinion était relative au «meilleur moyen » d'obtenir un bien que nous désirons tous, et le fait même qu'une très grande majorité ne la regarde pas comme « le meilleur moyen » me conduit à penser, à cause de ma sympathie pour la majorité, que probablement ce n'était pas le meilleur moyen. En réalité, le meilleur moyen sur lequel la majorité se mettra d'accord sera, à mes propres yeux, le meilleur moyen ; au _moment où la décision va être exécutée, elle est, à mes yeux mêmes, ma propre décision. Il n'y a pas de « règle de la majorité», pas de division faite une fois pour toutes entre une majorité de « oui » et une minorité de «non» ; la décision s'obtient par la constitution et l'accroissement d'une majorité en vue de l'unanimité finale. A quelles conditions se fera cette unanimité ? Il faut évidemment que je ne participe pas à cette conférence avec des intérêts propres, des passions qui m'isolent des autres. Si mes intérêts . , . ou mes passions sont partages par certams membres de la communauté et non par d'autres, ceuxlà constituent une faction à l'intérieur du Comité. L'attitude que nous adoptons, nous factieux, • • , • • , A sera msp1ree par nos passions ou nos mterets et ne sera pas ébranlée par la discussion. Nous factieux, nous ne rechercherons pas tout au long de la discussion le «meilleur moyen » de réaliser un bien commun à tous, mais nous lutterons pour que triomphent les visées propres à la faction. Pour cela, nous pouvons juger nécessaire de conclure un accord avec une autre faction, tandis que d'autres encore peuvent entrer en coalition pour nous mettre en minorité. Rousseau a parlé de cette « rupture » psychologique et morale de la communauté. Il n'y a pas alors de majorité aboutissant à une unanimité, car la « règle de la majorité » maintient chaque fois une minorité irréconciliable et pleine de ressentiment. Dans ce cas, la principale valeur morale de la démocratie - c'est-à-dire le fait que chacun ressent comme siennes toutes les décisions prises - est perdue. Y a-t-il un remède à cette division ? Les Grecs estimaient à un prix si élevé l'« esprit de communauté » qu'ils excluaient ceux qui n'étaient pa d ns l s 1n m\,, di positions. Nous son1mes surpris qu'un gran / ader de ce que l'on pourrait app 1 r « 1 gauche ~, P 'riel s,

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