Le Contrat Social - anno III - n. 1 - gennaio 1959

10 de penser qu'au moment de son intervention en Hongrie, Nicolas 1er ne craignait plus de voir la contagion révolutionnaire se propager dans toute l'Europe (c'était déjà en 1849) : il se déterminait surtout par besoin d'assurer l'intégrité de l'Empire des Habsbourg pour maintenir l'équilibre des forces et, au premier chef, comme contrepoids à la Prusse. Comme on voit, la solidarité monarchique passait en l'occurrence au second plan. Que reste-t-il encore ? Le célèbre «testament de Pierre le Grand» ? On s'est ressouvenu de ce «document » de nos jours, bien que le faux ait été prouvé depuis longtemps et plus d'une fois. Longtemps on l'a démontré en analysant le texte et en étudiant la genèse du « testam.ent ». Mais en outre le prétendu « document » est vicié par ce qu'il a de foncièrement invraisemblable. Il suffit de se rappeler l'empirisme de la pensée et de la politique de Pierre 1er pour comprendre l'absurdité de supposer que lui, qui ne songea même pas à désigner en temps voulu son successeur, aurait pu établir un plan de conquête de l'Europe un demi-siècle ou un siècle à l'avance. Bien plus, pareil plan général serait en contradiction avec toute la politique étrangère russe d'avant la révolution en tant que politique ordinaire d'une puissance nationale (plus tard multinationale) qui, à la différence de l'Union soviétique, n'était ni une «idéocratie », ni un État révolutionnaire totalitaire. 3 ·IV S1 DONC on ne peut trouver de parallèle au «marxisme-léninisme-stalinisme » dans la politique étrangère de l'absolutisme russe, celui-ci n'avait non plus à sa disposition rien qui rappelât fût-ce de loin le Komintern ou le Kominform. A la différence de buts correspond une différence tout aussi marquée de méthodes. La technique diplomatique de la Russie tsariste ne se distinguait guère de celle des autres 3. Le faux cc testament de Pierre le Grand» est en réalité une analyse de la politique russe rédigée par le général polonais Michel Sokolnicki à l'intention de Napoléon. Ce texte, revu et corrigé p;;ANapoléon, fut publié en 1812 par Ch. Lesur dans la 2e é~~ de son livre: De la Politique et des Progrès de la Puissance russe. F. Gaillardet, collaborateur d'Alexandre Dumas, le reproduisit en 1836 dans les Mémoires du chevalier d'Éon comme document obtenu de l'impératrice Elisabeth de Russie par l'agent secret de Louis XV. L'écrivain polonais Léonard Chodzko le cc révéla» à son tour en 1842. Le chartiste A.-L. Ravergie le pu6lia ensuite dans son Histoire de la Russie et de ses projets d'envahissement depuis le règne de Pierre le Grand jusqu'à nos jours (1853). Puis Léouzon Le Duc le donna comme pièce à l'appui de ses vues dans la Russie et la civilisation européenne (1854). Depuis lors, tous les historiens sérieux ont fait justice du prétendu BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL grandes puissances. L'histoire dé la politique extérieure russe montre les méthodes traditionnelles d'action diplomatique ou de pression militaire qui nous sont familières par l'histoire diplomatique des pays occidentaux. A l'instar de leurs émules européens, les diplomates tsaristes pensaient en termes d'équilibre de forces, de partage des sphères d'influence, de compensations territoriales, d'alliances politiques et de coalitions militaires, de «rectifications» de. frontières stratégiques, de «pénétration pacifique», etc. La Russie n'avait apporté ni d'ailleurs cherché à apporter rien d'original à cette technique diplomatique établie durant des siècles.. Il est vrai que parfois - aux moments d'une aggravation de ses rapports avec telle ou telle puissance - des publicistes et parfois des hommes politiques occidentaux l'ont accusée de conduite « révolutionnaire », choquante dans une société internationale convenable, mais prendre ces accusations pour argent comptant serait imprudent. Elles venaient souvent d'une peur exagérée de la Russie, plus souvent encore ce n'était qu'un simple procédé de lutte politique, d'autres fois une « propagande militaire » assez franche .. 11 faut sans doute ranger dans cette catégorie ,les paroles de Marx maintes fois citées. A la veille de la guerre de Crimée, Marx parlait de «centaines d'agents russes parcourant la Turquie et les pays balkaniques », de l'aspiration de la Russie à «réunir sous un seul sceptre toutes les branches de la grande race slave et à en faire la race dominante en Europe», de l'exploitation par la diplomatie russe de «soulèvements provoqués à l'aide de l'or et de l'influence russes», etc. Un historien impartial trouverait difficilement dans les faits une confirmation de toutes ces affirmations. Il lui serait encore plus difficile de prouver que cette façon d'agir fût un trait constant et spécifique de la diplomatie tsariste. Certes la diplomatie tsariste a employé parfois elle aussi des méthodes diplomatiques « irrégulières», mais ces méthodes restaient, jusque dans la conscience des diplomates eux-mêmes, des dérogations à la ·norme et elles ne furent jamais érigées en système d'action dans la politique étrangère. A cet égard non plus, la diplomatie de la Russie impériale n'était pas une exception. <c document». Mais en 1896, Edouard Drumont en cita des extraits bien choisis, à grand fracas, dans la Libre Parole, feignant de le tenir pour authentique, à des fins antirusses et antisémites. L'abbé Charles Renaut, dénonçant en Drumont un cc Juif déguisé », reproduisit intégralement le « testament », lui aussi, dans son gros livre l' Israélite Edouard Drumont et les Sociétés secrètes, en 1896. Plus tard, bien des publicistes se sont néanmoins référés au faux c< testament », notamment M. James de Coquet qui, à l'exemple de Drumont, en a cité des extraits dans le Figaro en se servant du texte de Chodzko. Voir la première rédaction du document, donc l'original dans l'étude de Michel Sokolnicki, descendant du général, sur Je Testament de Pierre le Grand (Origines d'un prétendu document historique) in Revue des Sciences politiques de janvier-février 191~. Cf. Henri Rollin : !'Apocalypse de notre temps, pp. 15-26, Paris, Gallimard, 1939. (N.d.l.R.)

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