6 Russie a été le pays impérialiste par excell~nce, l,empire des empires en quelque sorte. S,il en était autrement, si l'ancien impérialisme russe ne s'était distingué ·ni quantitativement, ni qualitativement de n'importe quel autre, on ne pourrait en dériver l'agressivité soviétique de notre temps, alors que c'est à cela que tend~~t les théories en question. On met l'accent precisément sur la spécificité de l'impérialisme russe. Par là même on oppose la Russie au reste du monde, en premier lieu au monde occidental.. C'est donc la ligne ainsi tracée que devra suivre la oritique des affirmations de cette nature dans leurs diverses variantes. II IL FAUT tout d'abord rejeter comme dénuée de fondement sérieux l'idée qu'il existe des peuples belliqueux ou pacifiques, impérialistes ou non impérialistes de nature. Il n'est guère besoin de démontrer l'inconsistance de cette version spéciale du racisme. On peut se contenter d'un petit rappel historique, d'ailleurs assez éloquent. Depuis la fin du xv11e siècle jusqu'au milieu du x1xe, les Français étaient considérés assez unanimement sur le continent européen comme la nation la plus belliqueuse et la plus agressive, les Allemands en général comme un peuple pacifique et même peu apte à se défendre. Dans la deuxième moitié du x1xe siècle (plus exactement à partir des années 70), on découvrit l'éternelle agressivité du peuple allemand, tandis que le bellicisme français s'effaçait dans le domaine d'une légende historique. Hors de l'Europe, au cours de tout le x1xe siècle, ce fut l' Angleterre qui passa pour impérialiste par nature. Aujourd'hui, il ne reste plus grand-chose de cette ancienne réputation . anglaise, mais en revanche ·on comn;ience à parler de plus en plus de l'impérialisme américain, et pas seulement dans la presse communiste. Il est évident que ces appréciations changeantes sur la nature impérialiste ou non impérialiste de tel ou tel peuple reflètent des changements réels dans le rapport des forces internationales. Aussi ·la question de la nature et. des çiestinées de l'impérialisme russe ne peut-elle être examinée qu'à la lumière· de données historiques concrète~. Or dans une telle approche, ce qui saute aux yeux tout. d'abord est non e · ·caractè~e exceptionnel de l'évolution· russe, ma·s au contraire son parallélisme avec l'évolution-d autres pays européens. Même si l'on considère la Russie de Kiev comme une première tentative de créer un empire russe (« l'.cmpire des R~rikovitch »,,. selon l'expr~~s!on de Marx), on dqit y reconnaitre une. repetttton ?,~scz fidèle, quoique avec· un certain ~~tard -historique., de la _mê111te ntativ~ -faite en Occident par les Carolin~iens. P~l!~ l~~ g~ux cas;, on ~ . Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL • observe un seul et même processus de création d'un État sur une assise politique assez élémentaire à commencer par la soumission de groupes proches par leur composition e~ique J?~Ur finir par la mainmise sur des territoires voisms ayant une J?Opula?o~ ét!~ngèr~. E! d~s les d~ux cas l' « empire » amsi cree .est ~phemere, se des~- grège sous la poussée conJuguee d~ forces ~~ntrifuges intérieures et d'une pression exterieur~ hostile (nomades asiatiques à l'E.~t, No,r1?1ands a l'Ouest). Vient ensuite la premiere period~ du féodalisme en Europe occidentale et (touJours avec le même retard historique) le morcellement féodal en Russie. Avec l'ascension de Moscou et l'expansion impériale à grande échelle, ce retard historiq~e prend fin. La formation du royaume mosco~ite est un phénomène non seulemen~ parallele, mais simultané par rapport à !a croissan~e de~ États nationaux en Europe occidentale. C est la un chapitre de l'histoire générale de - l'Europe des temps modernes. Nos Vassili et nos Ivan qui rassemblaient les « terres russes» sont les contemporains de Ferdinand et d'Isabelle en Espagne, de Louis XI en France, des deux Henry et d'Élisabeth en Angleterre. Au f?nd ils poursuivent des buts analogues, emploient les mêmes méthodes et cherchent de même une « justification idéologique» à leur politique. C'es~ à tort que l'historien polonais Kucharzewski (The Origin of Modern Russia) voit, quelq~~ ~hose de spécifiquement russe dans 1agressivite, la perfidie et l'hypocrisie des premiers tsars m?scovites. Ils ne furent pas les seuls souverams européens de l'époque (et pas_seulement de ce~e époque) à user, selon les· ci~COJ?-Stancest,~t~t de· la force, tantôt de la ruse, a violer les trrutes et à se montrer impitoyables à l'égard de l'adversaire vaincu. Pour chaque exemple de l~ur amoralisme politique on peut tro1;1versan~ p~me des équivalents occidentaux. Et si, pour Justtfi:er leur politique, ils invoquaient parfois des ~roits fictifs ou des traditions douteuses, les «légistes » occidentaux s'employaient assidument aussi à créer des mythes semblables. Même le fameux «messianisme» moscovite a son parallèle ·dans l'idée de restauration de l'Empire romain restée longtemps vivante en Occident. Dans le domaine de la politique coloniale_, le mouvement russe vers l'Est, là conquête progressive de l'Asie du Nord alla de p.air avec l'expansion européenne dans le NouveaU:Monde, de l'autre côté de l'Atlantique. Ermak est le contemporain de Pizarre et de Cortez. La conquête de la Sibérie fut aussi un chapitre de l'histoire européenne. Là comme ici on voit --lamême combinaison de l'initiative privée et du soutien gouvernemental,. de mobiles économiques et politiques, de colonisation pacifique et de conquête par la for~e; L'expansion russe présente cependant une particularité qui semble avoir eu grande impor-
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