Le Contrat Social - anno II - n. 6 - novembre 1958

QUELQUES LIVRES de l'Empire. En d'autres termes, l'Empire l'emporte sur le Commonwealth et l'idée d'une classe gouvernante sur celle d'un peuple qui se gouverne lui-même.» Le style est quelque peu pâteux, mais la pensée est claire : l'Angleterre n'est pas une véritable démocratie. Son régime est aristocratique, et c'est pourquoi il peut fonctionner sans système de freins. Il n'est pas sans intérêt de noter que.. quelques pages plus loin (pp. 337-338), l'auteur indiquera que le gouvernement de cabinet fonctionne assez bien dans les Dominions. 11donne alors d'autres explications qui ne sont sans doute pas limpides, mais qui laissent du moins apercevoir clairement que le juriste Friedrich ne laissera au political scientist Friedrich aucune chance de mener aucune enquête honnête parmi les faits politiques. Il a résolu une fois pour toutes que notre époque est la plus morale dans l'histoire du monde, et que, dans le monde contemporain, le meilleur régime est le régime américain. En vérité, ce sont là des .opinions très honorables. Mais ce n'est pas de la science politique. Si l'on voulait établir par une autre voie que M. Friedrich n'a pas l'âme d'un savant, on soulignerait l'imprécision de ses analyses, on dresserait l'interminable liste de ses bévues, l'un et l'autre trait dénonçant une indifférence aux faits qui n'est pas la marque de l'esprit scientifique. Bornonsnous à un court florilège. L'auteur est docteur en philosophie.Mais il n'a ouvert.ni le Traité théologico-poi'itique, ni le Traité polilique, ni même !'Éthique, car il traite à trois reprises (pp. 1420-26) Spinoza d' « apologiste du pouvoir absolu ». On apprend (p. 16) que la désintégration du système féodal vient du « développement d'autorités intermédiaires et complexes qui s'opposaient au Gouvernement du Roi ». Le sens de ce texte m'est impénétrable. Plus loin, on lit que ce sont les guerres de religion du xv1° siècle qui ont donné à la monarchie l'armée qui a écrasé la Fronde. En outre, cette armée aurait retardé la Révolution de cent quarante ans. Ce sont là, de nouveau, de ces vues cavalières qui n'ont pas de rapport avec l'histoire. L'histoire du socialisme et des faits qui en relèvent ne lui est pas mieux connue. Le Manifeste communiste est de 1848, il ne précède que de quelques jours, et non d'un an, la révolution de 1848. D'autre part, on ne saurait parler à cette date d'un échec de Proudhon, de qui les premiers écrits étaient encore tout récents (p. 34). L'auteur semble peu au courant des faits et des idées de l'Europe lorsqu'il indique (p. 47) qu'il y a de fréquentes réductions de salaire dans les entreprises nationalisées ; que « 1~ droit de grè':e constitue une arme entre les mains des ennemis du système constitutionnel » (p. 50) ; que « le contrôle gouvernemental a un effet désastreux sur le développement des services (aériens) transocéaniques » (il s'agit sans doute d' Air-France et de BOAC) ; qu'en France « les grandes banques centrales ainsi qu'une partie importante des Biblioteca Gino Bianco 371 banques de dépôt et de crédit » ont été nationalisées (p. 54). Il est étrange d'expliquer la chute de LouisPhilippe en disant que « sa position fondée sur l'hérédité se révéla inadéquate quand elle eut à faire face au Parlement élu par le peuple » (p. 154) ; d'affirmer (p. 192) que l'Inde est sortie du Commonwealth ; d'énoncer (p. 245) que notre Cour des comptes est « directement responsable devant un organisme élu par un un vote populaire»; de faire (p. 77) de Rousseau un Suisse, et de préciser (p. 496) qu'il a pu observer un grand contraste « entre le Gouvernement aristocratique de Genève et la simple démocratie des cantons ruraux » 2 ; de parler (p. 457) de la révolution de 1830 comme d'un coup d'État de Benjamin Constant et des libéraux contre la Restauration; de transformer (p. 481) les adeptes de Jules Guesde en chaleureux partisans de la grève générale 3 • Le professeur Friedrich ne cesse ainsi de faire preuve d'une imagination débridée. Et ces erreurs ne sont que vétilles auprès des audaces du raisonnement. M. Friedrich n'hésite pas à fabriquer un système de philosophie de l'histoire spécial à un paragraphe. Par exemple, il expose (p. 26) les raisons générales qui ont conduit la Grande-Bretagne et la Suède à se séparer du Saint-Empire, auquel du reste - l'auteur le reconnaît honnêtement - ils n'avaient pas appartenu, Il semble qu'il faille ranger parmi les jugements téméraires celui qui (p. 130) fait sortir la guerre de Sécession d'une décision de la Cour suprême. Ou bien celui qui attribue (p. 89) la chute de la république de Weimar à l'existence d'un parti communiste ou fasciste important : cela revient à dire que l'eau bout parce qu'elle est arrivée à cent degrés. De telles réflexions ne donnent pas le sentiment que l'auteur soit particulièrement doué pour la science politique. Ailleurs il établit, sans trace d'humour, un parallèle entre l'Angleterre du XVIII 8 siècle et la Louisiane de Huey Long. Ou bien il condamne l'État centralisé - la France - qui impose aux communes le respect de ses lois, mais approuve l'État membre d'une fédération qui - en Allemagne, aux États-Unis - agit de même. Mais il en est de ce livre comme des chefs-d' œuvre : il faudrait tout citer. Ou bien les faits sont faux, ou bien ils sont si sommairement énoncés qu'ils demeurent inutilisables pour une étude scien2. Genève était une république indépendante. Rousseau, qui connaît et discute le régime de son pays, ne se soucie pas des Cantons (il ne cite guère que Berne). En dehors de Genève, ses références sont celles des publicistes français de son temps : l'Angleterre, les républiques de l' Antiquité. 3. Voir sur ce point la très nette intervention de Gu sd au Congrès de Lille de 1904 : la grève générale à ses yeux est d'origine patronale. Il dit, horriblement mais clairement : « Le grève-généralisme et le ocialisme nt in ompatible ij. Guesde croit à l'efficacité d'un parti, non c 11 de la p ncanéité des ma c : ccll - i n'ont mfm p u l'idée d la grève générale, qui dérive de /o k our patr naux d l' Anglet~rrc.

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