Le Contrat Social - anno II - n. 6 - novembre 1958

370 cette liaison nécessaire n'a-t-elle pas échappé à M. Friedrich, puisqu'il écrit (pp. 4-5) : « ••• la démocratie (c'est-à-dire le constitutionnalisme) ». Pourtant, il ne faut pas se hâter de conclure. En effet, on lit ailleurs (p. 31) : « le constitutionnalisme, en Angleterre comme dans les autres pays, n'était nullement démocratique à ses débuts ». On en déduira que la démocratie est nécessairement constitutionnelle, mais que la réciproque n'est pas vraie. C'est d'ailleurs la raison pourquoi l'auteur oppose (p. 4) le constitutionnalisme moderne au constitutionnalisme antique et médiéval. On finit, à force d'attention, par comprendre que l'auteur distingue un constitutionnalisme antique fondé sur l'idée totalitaire de l'État (et qui n'est donc pas démocratique) ; un constitutionnalisme médiéval inspiré par l'Église et fondé sur l'idée chrétienne du salut individuel ; enfin un constitutionnalisme moderne fondé sur la doctrine des droits individuels, qui s'est formé sur les ruines de l'idée d'État ressuscitée au XVIIe siècle et qui, d'abord aristocratique, s'est ensuite démocratisé. Il apparaît donc qu'à l'heure actuelle le constitutionnalisme occidental est démocratique, et c'est ce constitutionnalisme démocratique qu'étudie M. Friedrich. Nous ne nous attarderons pas à discuter cette vue cavalière de l'histoire dont la simplicité ne laisse pas d'être déconcertante (on sent bien qu'une solide ignorance épargne à l'auteur les affres du doute), pour passeraussitôt à l'examende ce constitutionnalisme moderne qui nous procure la véritable démocratie. Ne croirait-on pas que le professeur Friedrich va procéder scientifiquement ? Il énonce en effet parfaitement la méthode à suivre (p. 74): « Une science politique, qui se veut descriptive, (...) ne se demande pas si les gens ont le droit de faire une révolution, mais elle étudie plutôt les conditions dans lesquelles les révolutions se font effectivement>>. Une telle formule donne à penser que l'auteur va s'attacher à nous faire connaître comment les États démocratiques sont gouvernés et comment ils voient, par des révolutions, se renforcer ou s'abolir le constitutionnalisme. Point du tout. M. Friedrich a un objectif exactement inverse. « Le mot Constitution, écrit-il p. 76, a, pour la science politique moderne, une signification très distincte : il désigne le procédé par lequel l'action gouvernementale est effectivement freinée ». Et ailleurs (p. 113) : « Une Constitution est un ensemble de techniques destinées à freiner le gouvernement. » Il s'agit donc bien, chez l'auteur, d'une doctrine délibérée : seules ont valeur constitutionnelle les dispositions qui entravent l'action gouvernementale. Le résultat, c'es~ M. Friedrich ne songe à aucun moment à comprendre ou à exposer aucun système ayant fonctionné ou fonctionnant dans quelque pays démocratique que ce soit. Il ne voit pas qu'une Constitution sert aussi et surtout à désigner ceux qui exerceront l'action gouvernementale, les conditions dans lesquelles Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL s'exercera cette action - et c'est là le problème des freins - n'intervenant qu'en second lieu. Il ne voit pas non plus que le frein essentiel est la limitation dans le temps de l'exercice du pouvoir, et non sa division. Et il se borne à traiter des différentes institutions dans un ordre artificiel et purement formel. Dépourvu de tout sentiment de la structure des régimes auxquels il fait allusion, il est réduit à un bavardage inorganique et confus qui ne s'anime un peu, sans toujours s'améliorer, que lorsqu'il est question de ces «freins» qui lui paraissent l'âme même du régime constitutionnel. Cette idée des freins se manifeste essentiellement sous la forme de la division et de l'opposition des pouvoirs. Le fédéralisme, la décentralisation sont bons, la centralisation est mauvaise. La séparation des pouvoirs est évidemment bonne et l'on sait à quel point ils sont séparés et multipliés dans la Constitution des États-Unis. « Un pouvoir concentré est susceptible de plus d'abus qu'un pouvoir divisé », dit en conclusion notre professeur, qui apparaît en somme comme un juriste libéral imbu de la tradition américaine, et confirmé dans ses sentiments en tant qu'il est, parce qu' Allemand, hanté par le spectre de Hitler. Pourtant une Constitution n'est pas seulement un système de freins, et il y a près d'un siècle Walter Bagehotsoulignait, précisémentdans un chapitre intitulé Freins et contrepoids de la Constitution, 1'erreur américaine : « Les Américains de 1787, écrivait-il, croyaient copier la Constitution anglaise, mais ils ont fait le contraire. Le gouvernement américain est le type des gouvernements composites dans lesquels l'autorité suprême est divisée entre plusieurs corps politiques et plusieurs fonctionnaires; le gouvernement anglais est au contraire le type des gouvernements simples dans lesq.uels l'autorité souveraine sur toutes les questions est confiée aux mains des A memes personnes. » On ne demande pas à M. Friedrich, political scientist,' de prendre ainsi parti pour· un gouvernement démocratique contre un autre. Du moins s'attendrait-on qu'il essayât de les décrire honnêtement l'un et l'autre. Mais les préjugés du juriste l'emportent. Ce gouvernement anglais où les freins sont si peu apparents trouble M. Friedrich au point qu'après l'avoir proclamé un chef-d' œuvre extraordinaire, il émet l'opinion qu'il y a dans son fonctionnement un secret impénétrable, et finit par former des hypothèses qui valent à peu près l'explication d' Argan sur les effets de l'opium (pp. 331 sqq.). Lui qui estime que le constitutionnalisme consiste dans « la répartition de l'exercice du pouvoir » (p. 15), on se demande pourquoi il ne va pas jusqu'à contester le caractère démocratique du gouvernement anglais. Mais au fait, ne le conteste-t-il pas ? Il écrit (p. 332) : << La mesure dans laquelle l'idée d'une classe gouvernante exclusive continue à dominer !'Exécutif britannique est un héritage

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