364 Marx ni les autres économistes de son époque n'ont énoncé des préceptes de politique économique, pour la simple raison que le capitalisme d'alors n'avait pas encore créé les leviers de commande permettant des interventions efficaces de portée générale. Quelques disciples de Marx ont étudié les problèmes posés par le capitalisme organisé et par le renforcement des leviers étatiques de commande. En considérant les multiples aspects de la socialisation, devenue un objectif tangible depuis la fin de l'autre guerre, ils eurent à se préoccuper des effets possibles et prévisibles d'une politique économique infiniment plus décisive que celle pratiquée jusqu'alors. Le mouvement «pianiste» des années 1934-38, tendant à combattre la grande crise par une série d'interventions étatiques qui comprenaient, entre autres, certaines nationalisations, traça les grandes lignes d'une économie mixte où la direction calculée du processus . économique devait supplanter les automatismes inopérants. Ceux des «pianistes » qui se réclamaient du marxisme n'étaient nullement désarmés devant ces problèmes nouveaux. A défaut des écrits de Marx, les ouvrages publiés dès 1919 par Kautsky, Renner et Bauer sur la socialisation leur apportaient des indications nombreuses et précises sur ce qu'il convenait de faire ou d'éviter. A ce sujet, il importe de mentionner avant tout l' œuvre exceptionnellement profonde et féconde de Renner, le seul à avoir tiré du livre III du Capital des enseignements nouveaux sur l'évolution du capitalisme contemporain. 6 Étudiant les modifications intervenues dans la structure de l'économie moderne, il met en relief le double processus de socialisation qui a lieu en vertu des tendances immanentes du capitalisme et sous la pression consciente des organisations ouvrières. Son analyse pénétrante fait ressortir la socialisation d'une 6. Cf. notamment K. Renner : Die Wirtschaf t ais Gesamtprozess, 1926, et Wege der Verzvirklichung, 1929. Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES fraction croissante du salaire et la récupération d'une partie de la plus-value par la classe salariée grâce à l'action des coopératives ; elle traite en outre des modifications qui s'opèrent dans la répartition de la plus-value entre les différentes catégories de ses bénéficiaires. Renner arrive ainsi à la limite où les concepts marxistes cessent d'être valables parce que le ·mécanisme capitaliste ·cesse de correspondre au système antérieur disséqué par Marx. Si la mort n'avait interrompu ses recherches, Renner se serait heurté à l'obstacle de la terminologie déjà signalé. 11en est de même quant aux vues originales développées par Renner dès 1917 sur les rapports entre le capitalisme et les régions précapitalistes (dites aujourd'hui « sous-développées ») : là encore, la science économique marxiste a devant elle un vaste champ de travail, pour lequel Renner a élaboré une méthode féconde, mais qui exigera un outillage conceptuel nouveau, adapté à la réalité nouvelle. Fritz Sternberg a d'autant plus de mérite quand il souligne cette nécessité qu'à en juger par l'ensemble de ses écrits, les idées de Renner ne semblent guère • • avoir retenu son attention. L'économie de l'Amérique du Nord et de l'Europe occidentale, aujourd'hui comme hier la plus puissante du monde et la plus avancée dans la voie du progrès social, est devenue dans une large mesure une économie transcapitaliste, où les éléments socialistes jouent un rôle croissant. Avec Kautsky, Hilferding, Bauer et notamment Renner, la théorie marxiste a contribué plus que n'importe quelle autre doctrine économique à préparer les notions nouvelles que demande cette formation transcapitaliste. En ce sens et en tant que méthode, l'économie marxiste sera vivante si elle démontre sa vitalité en élucidant les nouveaux problèmes. 11 reste à savoir dans quelle mesure et jusqu'à quand elle méritera encore l'étiquette «marxiste». LUCIEN LAURAT l ,
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