Le Contrat Social - anno II - n. 6 - novembre 1958

revue ltistorÎtJUe et crititjue Jes /11its et Jes iJées NOVEMBRE 1958 Vol. Il, No 6 • DE LA CORRUPTION DES RÉGIMES POLITIQUES par Raytnond Aron ES AUTEURS anciens avaient coutume de consacrer un chapitre à la « corruption des régimes». Convaincus que, dans le monde sublunaire, rien ne résiste à la durée, ils tenaient pour normal la décomposition de tous les régimes,qu'ils fussent bons ou mauvais. Leur vision de l'histoire politique était cyclique, non progressiste. Aucun régime n'était l' aboutissement .du devenir des cités, aucune révolution n'était finale. La démocratie dégénérait en tyrannie et celle-ci, éventuellement, en monarchie. Les cités pouvaient avoir le sentiment de revenir au point de départ, en dépit des « transformations économiques et sociales » (pour employer les concepts modernes), bien que l'activité marchande eût, entre temps, affaibli l'autorité des grandes fami11eset l'empire des traditions. L'étude des régimes politiques des sociétés modernes a été le plus souvent orientée par une interprétation. progressiste. Les marxistes cherchaient le régime politique qui serait l'accompagnement du socialisme, considéré comme l'aboutissement du devenir économique. Les non-marxistes niaient que le socialisme fût le terme fatal du développement économique, mais ils inclinaient, eux aussi, à voir dans le régime de leur choix, le plus souvent la démocratie parlementaire, un aboutissement probable, sinon inévitable. Il ne nous _Paraît ni inintéressant ni illégitime, au moins à tltre d'expérience mentale, de poser le problème de la corruption des régimes politiques comme Aristote l'aurait fait, en supposant la précarité des choses sublunaires et en substin,ant le schéma du cycle à celui du progrès. Il est vrai que l'infrastructure économique, à notre q>Oque, obat à une loi de croissance, donc de Biblioteca Gino Bianco • progrès. Mais la croissance économique, d'après l'expérience actuelle, ne détermine pas le régime (mode de propriété, méthode de régulation). Il n'est donc pas interdit, au point de départ, d'admettre que le devenir politique n'obéit pas à une loi de progrès en dépit de la croissance , . econormque. DEUX GENRES de régimes politiques paraissent représenter les types extrêmes dont la civilisation industrielle nous offre l' exemple : les régimes constitutionnels-pluralistes et les régimes de parti monopolistique. Les régimes constitutionnels-pluralistes sont ceux qui sont appelés couramment démocratiques ou occidentaux. Ils ont deux caractéristiques majeures : les décisions du pouvoir ne sont valables qu'à condition d'être prises conformément à une procédure fixée d'avance, les lois doivent être votées par les élus du peuple et les citoyens ont des recours légaux contre l'arbitraire; d'autre part, l'exercice du pouvoir est réservé aux vainqueurs, toujours provisoires, d'une compétition organisée entre la pluralité des partis, le pouvoir accepte et légalise l'existence d'une opposition. Les régimes de parti monopolistique ne tolèrent qu'un parti, donc, par définition, ils mettent hors la loi les autres partis, les autres opinions. Le monopole d'un parti exclut la légalité d'une compétition pour l'exercice du pouvoir, il exclut aussi en cas de besoin les procédures constitutionnelles, puisque le monopole du parti est justifié par une œuvre révolutionnaire à accomplir et que la révolution doit se soumettlc:: la loi et non se soumettre à la loi. Nous n'envisagerons pas ici les multiples •

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