Le Contrat Social - anno II - n. 6 - novembre 1958

E. RENAN den~e n'~ pas été moins persécutrice que celle de 1 1sJam1sme. Seulement elle n'a pas réussi, elle n'a pas écrasé l'esprit moderne, comme l'isJamismea écrasé l'esprit des pays qu'il a conquis. Dans notre Occident, la persécution théologique n'a réussi qu'en un seul pays : c'est en Espagne. Là, un terrible système d'oppression a étouffé l'esprit scientifique. Hâtons-nous de le dire, ce noble pays prendra sa revanche. Dans les pays mus11lmans, il s'est passé ce qui serait arrivé en Europe si !'Inquisition, Philippe II et Pie V avaient réussi dans leur plan d'arrêter l'esprit humain. Franchement, j'ai beaucoup de peine à savoir gré aux gens du mal qu'ils n'ont pas pu faire. Non; les religions ont leurs grandes et belles heures, quand elles consolent et relèvent les P.arties faibles de notre pauvre humanité ; mais il ne faut pas leur faire compliment de ce qui est né malgré elles, de ce qu'elles ont cherché à suffoquer au berceau. On n'hérite pas des gens qu'on assassine; on ne doit point faire bénéficier les persécuteurs des choses qu'ils ont persécutées. C'est pourtant là l'erreur que l'on commet, par excès de générosité, quand on attribue à l'influence de l'islam un mouvement qui s'est produit malgré l'islam, contre l'islam, et que l'islam, heureusement, n'a pas pu empêcher. Faire honneur à l'islam d' Avicenne, d' Avenzoar, d' Averroès, c'est comme si l'on faisait honneur au catholicisme de Galilée. La théologie a gêné Galilée ; elle n'a pas été assez forte pour l'entraver tout à fait ; ce n'est pas une raison pour qu'il faille lui avoir une grande reconnaissance. Loin de moi des paroles d'amertume contre aucun des symboles dans lesquels la conscience humaine a cherché le repos au milieu des insolubles problèmes que lui présentent l'univers et sa destinée ! L'islamisme a de belles parties comme religion ; je ne suis jamais entré dans une mosquée sans une vive émotion, le dirai-je ? sans un certain regret de n'être pas musulman. Mais, pour la raison humaine, l'islamisme n'a été que nuisible. Les esprits qu'il a fermés à la lumière y étaient déjà sans doute fermés par leurs propres bornes intérieures ; mais il a persécuté la libre pensée, je ne dirai pas plus violemment que d'autres systèmes religieux, mais plus efficacement. 11 a fait des pays qu'il a conquis un champ fermé à la culture rationnelle de l'esprit. Ce qui distingue, en effet, essentiellement le musulman, c'est la haine de la science, c'est la persuasion que la recherche est inutile, frivole, presque impie : la science de la nature, parce qu'elle est une concurrence faite à Dieu ; la science historique, parce que, s'appliquant à des temps antérieurs à l'islam, elle pourrait raviver d'anciennes erreurs. Un des témoignages les plus curieux à cet égard est celui du cheik Rifaa, qui avait résidé plusieurs années à Paris comme aumônier de !'École égyptienne, et qui, après son retour en Égypte, fit un ouvrage plein des obserBiblioteca Gino Bianco 359 vations les plus curieuses sur la société française. Son idée fixe est que la science européenne, surtout par son principe de la permanence des lois de la nature, est d'un bout à l'autre une hérésie ; et, il faut le dire, au point de vue de l'islam, il n'a pas tout à fait tort. Un dogme révélé est toujours opposé à la recherche libre, qui peut le contredire. Le résultat de la science est non pas d'expulser, mais d'éloigner toujours le divin, de l'éloigner, dis-je, du monde des faits particuliers où l'on croyait le voir. L'expérience fait reculer le surnaturel et restreint son domaine. Or le surnaturel est la base de toute théologie. L'islam, en traitant la science comme son ennemie, n'est que conséquent; mais il est dangereux d'être trop conséquent. L'islam a réussi pour son malheur. En tuant la science, il s'est tué lui-même, et s'est condamné dans le monde à une complète infériorité. Quand on part de cette idée que la recherche est une chose attentatoire aux droits de Dieu, on arrive inévitablement à la paresse d'esprit, au manque de précision, à l'incapacité d'être exact. Allah aalam, « Dieu sait mieux ce qui en est », est le dernier mot de toute discussion musulmane. 11 est bon de croire en Dieu, mais pas tant que cela. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • Des deux conséquences qu'entraîne le manque d'esprit scientifique, la superstition ou le dogmatisme, la seconde est peut-être pire que la première. L'Orient n'est pas superstitieux ; son grand mal, c'est le dogmatisme étroit, qui s'impose par la force de la société tout entière. Le but de l'humanité, ce n'est pas le repos dans une ignorance résignée ; c'est la guerre implacable contre le faux, la lutte contre le mal. La science est l'âme d'une société ; car la science, c'est la raison. Elle crée la supériorité militaire et la supériorité industrielle. Elle créera un jour la supériorité sociale, je veux dire un état de société où la quantité de justice qui est compatible avec l'essence de l'univers sera procurée. La science met la force au service de la raison. 11 y a en Asie des éléments de barbarie analogues à ceux qui ont formé les premières armées musulmanes et ces grands cyclones d'Attila, de Gengis Khan. Mais la science leur barre le chemin. Si Omar, si Gengis Khan avaient rencontré devant eux une bonne artillerie, ils n'eussent pas dépassé les limites de leur désert. 11 ne faut pas s'arrêter à des aberrations momentanées. Que n'a-t-on pas dit, à l'origine, contre les armes à feu, lesquelles pourtant ont bien contribué à la victoire de la civilisation ? Pour moi, j'ai la conviction que la science est bonne, qu'elle seule fournit des armes contre le mal qu'on peut faire avec elle, qu'en définitive elle ne servira que le progrès j'entends le vrai progrès, celui qui est ins 'parabl du respect de l'homme et de la liberté. ERNEST RENA •

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