Le Contrat Social - anno II - n. 6 - novembre 1958

N. YALBNTINOY fait preuve chaque fois qu'il s'agit de so11mettre une affaire au jugement et à la décision de Lénine. Pendant la longue retraite de celui-ci (elle avait commencé en fait dès décembre 1921), Staline, selon Lénine, « concentra entre ses mains [en sa qualité de secrétaire général du Parti] un immense pouvoir ». Ce pouvoir une fois acquis, il estima évidemment qu'il pouvait désormais se dispenser de s'incliner devant un homme fini. Unine a-t-il su que Staline le considérait comme définitivement hors de jeu ? Cela ne fait aucun doute. Vladimirov me l'affirma en décembte 1924, au cours d'un entretien. A ce moment, Lénine n'était plus. Sur quoi se fondait l'affirmation de mon interlocuteur, je l'ignore. Je n'ai pas questionné Vladimirov sur ce point et, pour diverses raisons, je ne pouvais le faire. D'après lui, Lénine dit alors : « Je ne suis pas encore mort, mais eux, Staline en tête, m'ont déjà enterré. » Devant l'attitude inattendue de Staline, Lénine malade conçut tout naturellement pour lui une hostilité qui s'accentua à l'extrême sous l'effet des plaintes de Kroupskaïa. C'est probablement cette hostilité soudaine qui lui fit recommander de destituer Staline du poste de secrétaire général, en raison de sa grossièreté, puis lui fit envisager de rompre toutes relations personnelles avec lui. Cela Vladimirov ne me l'a pas dit. Je suis arrivé à cette conviction après lecture de ce qu'on appelle le «testament» de Lénine, dont j'ai eu connaissancebeaucoupplus tard. Mais Vladimirov m'a dit encore autre chose : - «Vlfldimir Ilitch n'était pas rancunier dans les relations personnelles, mais Staline l'avait tellement offensé qu'après la deuxième attaque il n_'a plus voulu le voir et, en effet, ne l'a jamais revu. » Voilà qui est très important et mérite d'être retenu. Le même Vladimirov supposait qu'en janvier, février et mars 1923, Lénine écrivit ses cinq articles à caractère de « directives » Biblioteca Gino Bianco 347 précisément dans le dessein de montrer qu:~1 était encore trop tôt pour l'enterrer et qu il conservait toutes ses facultés intellectuelles. Ces articles lui imposèrent un grand effort. On en trouve confirmation dans de nombreuses sources et notamment dans les témoignages des médecins qui se trouvaient en permanence auprès de lui. Incapable d'écrire, ayant le bras droit paralysé, Lénine était obligé de dicter, ce dont il n'avait pas l'habitude. Cela lui était pénible d'avoir à chercher longtemps ses mots, la forme à donner à sa pensée, pendant que, sans rien faire, la dactylo attendait une demi-heure en silence, et parfois plus longtemps, la suite de la phrase. Pour éviter que la présence de la dactylo. ne troublât Lénine, on la plaça dans une pièce voisine où fut installé une sorte de téléphone, ce qui permit à Lénine de dicter tout à loisir. La rédaction ·de ces articles, imposant au malade une grande tension intellectuelle, s'accompagnait de maux de tête terribles. Afin d'en atténuer la violence, les médecins lui faisaient appliquer des compresses froides, constamment renouvelées. Kroupskaïa, suivant sans doute une suggestion de Lénine lui-même, appelait ses derniers articles « son testament au vrai sens du terme». On est en droit de penser qu'ils parurent non seulement parce que Lénine voulait montrer qu'il était toujours là, mais surtout parce qu'il savait qu'il était nécessaire de donner au Parti de nouvelles directives en rapport avec la situation qui se modifiait. C'est cela son véritable testament, et non les appréciations qu'il a formulées sur quelques-uns des dirigeants les plus responsables du Parti (Kamenev, Zinoviev, Boukharine, Piatakov, Trotski et Staline), dans un texte que plus tard on appellera à tort son «testament». * {Traduit du russe) N. VALENTINOV • On ne peut s'empêcher de rappeler que par la suite les cinq premiers nommés furent assassinés par le sixième . • •

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