D. J. DALLIN Les revendications soviétiques furent appuyées à l'époque par la France, mais se heurtèrent à l'opposition opiniâtre de la Grande-Bretagne. Une fois convaincu de l'impossibilité de surmonter la résistance anglaise, Molotov changea de formule et proposa pour la Tripolitaine un système d'administration collective avec l'Italie; cette proposition fut également rejetée. En fin de compte, aucune des propositions de Molotov ne fut acceptée, les objectifs soviétiques, révélés entre temps par les agressions successives en Europe orientale ne pouvant plus prêter à aucun doute. Devant les menées unilatérales de Moscou dans cette partie du monde, il n'était plus possible de croire à la bonne foi des So·viets dans leur désir de participer à une administration collective loyale des colonies. La Méditerranée LE PROGRAMME méditerranéen des Soviets consistait en trois points : premièrement, abrogation de la vieille convention de Montreux de 1936 qui règle la navigation dans les détroits de la mer Noire et son remplacement par des accords plus favorables ; deuxièmement, établissement d'une « copropriété russo-turque » sur les Détroits; troisièmement, installation d'une base navale soviétique dans les îles italiennes du Dodécanèse. L'objectif était de faire du Dodécanèse non seulement un avant-poste commercial mais aussi une base stratégique à proximité du canal de Suez. Les anciennes revendications russes sur les Dardanelles, répudiées par Lénine après la révolution bolchéviste, furent à nouveau soulevées au début de la deuxième guerre mondiale. Ce fut Molotov qui déclara à Hitler et à Ribbentrop en novembre 1940 que l'Union soviétique considérait la convention de Montreux comme « sans valeur» et exigeait des garanties « effectives » (et non pas seulement sur papier) concernant les Détroits, comme condition préalable à une alliance soviéto-germano-japonaise solide. 5 En j11in1945, après la défaite del' Allemagne, Molotov présenta une ~00:velle série de ~evendic~tions à la Turquie. L'ms1stance des Soviets à exiger des bases mi)itaires dans les Dardanelles et leur offre spécieuse d'organiser la défense des Détroits « conjointement avec la Turquie » tendaient l'une et l'autre à établir l'Union soviétique comme puissance prépondérante ~ans ces région~ e~ à faire d'Istanbul une ville sous dommation soviétique. La pression sur la Turquie, exercée sous forme d'une longue série de notes diplomatiques, se maintint tout au long de l'année 1946, mais de même que pour les demandes de tutelle, elle se heurta à une opposition ferme et croissante de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Par exemple, 5. Cf. Nazi-SOfli,t R,/ationi, pp. 244, 24s et 252. Biblioteca Gino Bianco 343 dans sa note à la Turquie du 8 août 1946, Molotov écrivait : « Étant les puissances les plus intéressées au maintien de la liberté de la navigation commerciale et de la sécurité dans les Détroits, et également les plus capables de les assurer,. la Turquie et l'Union soviétique devraient orgaruser en commun la défense des Détroits afin d' emP.êcher qu'ils ne soient utilisés par d'autres Etats à des fins hostiles aux puissances de la mer Noire. » La doctrine Truman, promulguée en mars 1947, permit entre autres de sauver l'indépendance de la Turquie menacée par l'offensive politique de Staline. Jusqu'en 1953, le gouvernement soviétique ne considéra pas le r~fus comme définitif, mais seulement comme un « aJournement » de l'affaire. Staline ne renonça jamais à ses revendications à l'égard de la Turquie, ce qui créa un état de tension permanente entre Moscou et Ankara au cours des années d'après guerre. A la lumière de la campagne actuelle menée par les Soviets en faveur de l'abolition « de toutes les bases militaires en territoire étranger», l'histoire des tentatives soviétiques pour s'assurer des bases en Méditerranée est particulièrement significative et révélatrice. La Turquie et l'Iran LE PROGRAMME oriental soviétique visait les territoires turcs qui bordent le Caucase. A partir de juin 1945, Molotov réclama avec insistance les territoires de Kars et d' Ardahan, sous prétexte qu'il s'agissait d'anciens territoires russes annexés par les Turcs après la première guerre mondiale (ils avaient appartenu à la Turquie jusqu'en 1878). Non contents de cela, à la fin de 1945 et au début de 1946, les Russes inventèrent une prétendue « revendication nationale» de la Géorgie sur une fraction du territoire turc située en bordure de la mer Noire et s'étendant sur près de 300 kilomètres jusqu'aux frontières de l'Irak et de l'Iran. Ce territoire, expliquait-on, avait appartenu quelques siècles auparavant au royaume de · Géorgie. Parmi les manifestations caractéristiques de cette campagne, - dépassant d'ailleurs dans ce cas précis la portée des revendications premières - signalons un article du secrétaire du parti communiste géorgien dans la Pra·vda exigeant « la réalisation du rêve ancestral du peuple géorgien» - à savoir l'annexion de huit provinces turques, soit en fait près de vingt pour cent du territoire. 1 Le même jour, ces « revendications géorgiennes » furent diffusées par la radio soviétique. Aux États-Unis, un « Comité national arménien» de tendance prosoviétique fit distribuer une carte de l'Arménie préparée par ordre du président Wilson en 1920, carte qui englobait une grande partie de la Turquie orientale dans les frontières d'une Arménie indé6. Prauda, 2s f~vricr 1946.
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