342 s'agissait plus en apparence de colonialisme pur et simple mais des revendications légitim~s d'une nation victorieuse. Toutefois., si tant est qu'il y eût une différence., le nouveau programme était encore plus détaillé que celui de l'époque d'Hitler., en raison., sans doute., des plus grandes possibilités de réalisation immédiate qu'il semblait , presenter. Comme l'a prouvé la suite des événements, le programme soviétique englobait : 1, les Balkans ; 2, une partie des nations arabes d'Afrique ; 3., des bases militaires et commerciales en Méditerranée ·; 4., les Détroits et Istanbul ; 5., le nord-est de la Turquie ; 6., l'Iran septentrional. Les tentatives soviétiques pour s'emparer des Balkans (Grèce, Yougoslavie et Albanie) constituent par certains côtés un autre chapitre de la politique soviétique d'après guerre. Elles n'entrent pas dans le cadre de ce compte rendu. Les nations arabes LES VISÉESde Staline en Afrique du Nord englobaient les territoires qui faisaient partie des ci-devant empires méditerranéens de l'Italie., de la France et de l'Espagne. Pour atteindre son but, le chef soviétique commença par prendre une part active aux négociations sur les colonies italiennes. A Potsdam, Staline et Molotov demandèrent que la Libye fût placée sous « tutelle » soviétique. (Le terme de «tutelle» était évidemment considéré à Moscou comme un euphémisme pour « colonie » - mais uniquement quand il s'agissait de confier la tutelle à des nations occidentales.) Ils manifestèrent également un intérêt très vif pour l'Érythrée que borde la mer Rouge. En Libye., la population est en majorité arabe. Il en est de même de la population urbaine de l'Érythrée. En tenant la Libye, membre de la Ligue Arabe, l'Union soviétique deviendrait incontestablement une puissance coloniale de premier plan dans le monde arabe. Par sa situation entre la Tunisie et l'Égypte., la Libye fournirait un moyen d'influence et de pression sur les Arabes de l'Est comme sur ceux de l'Ouest. La mer Rouge et le port de Massaouah lui ouvriràient la route de l'Éthiopie., pays à large population chrétienne. Dès lors., il apparaîtrait légitime que le gouvernement soviétique participât à la gestion de Suez., ce qui lui donnerait une importance politique majeure à Port-Saïd. En septembre 1945., le gouvernement soviétique demanda officiellement que la Tripolitaine, qu'il considérait à juste titre comme la partie de la .Libye ayantJle glus d'avenir., fût placée sous sa tutelle. Moscou.~marqua nettement son désir d'être seul responsable de l'administration de cettelrégion., rejetant-toute forme de condominium. Aux conférences des ministres des Affaires étrangères., Molotov proclamait hautement l'intérêt que le gouvernement soviétique porte à la Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Méditerranée et à l'Afrique., notamment à la Tripolitaine. L'Union soviétique., disait-il., aimerait que la tutelle de cette dernière région lui fût entièrement confiée et était parfaitement apte à assumer cette charge. En ce qui concerne l'Érythrée., Molotov déclara au cours d'une conférence de presse : « Je ne dissimulerai pas que l'Union soviétique s'intéresse à cette question et peut apporter un concours utile à sa solution. » 2 Enfin, à la conférence des ministres des Affaires étrangères d'avril 1946, à Paris, Molotov demanda officiellement que le port de Massaouah., en Érythrée, fût placé sous l'autorité soviétique. N'ayant pas conscience., à l'époque., des intentions réelles que cachait le programme soviétique, le secrétaire d'État américain Edward Stettinius affirma, dans une conversation avec Molotov, qu'à son avis l'Union soviétique était « éligible » à une charge de tutelle. Molotov en profita pour essayer de fonder ses réclamations sur cet engagement. Les mémoires personnels de James F. Byrnes, qui succéda à Stettinius au poste de secrétaire d'État, contiennent un passage plein d'intérêt pour la lumière qu'il jette sur la diplomatie et la mentalité soviétiques : « Il [Molotov] le répétait si souvent, que je finis par lui dire : « Aux États-Unis., tout citoyen est éligible au poste de Président, mais cela ne signifie pas que chaque citoyen devienne Président. Si vous persistez à répéter que toute demande de tutelle formulée par vous implique un engagement, vous finirez par le croire vous-même. » Je vis que je ne l'avais pas convaincu. Je repris donc : « Si je dis à quelqu'un qu'il a le droit de posséder une maison, cela ne veut pas dire que je sois obligé d'appuyer sa demande le jour où il réclamera l'ambassade soviétique.·» Mais rien n'y fit. Il se prétendait toujours convaincu qu'en raison de la déclaration de Stettinius, il était. de notre devoir de trouver un territoire pouvant satisfaire la revendication de tutelle soviétique. Il ne cessa pendant les seize mois qui suivirent de se référer à ces arg11ments de base, auxquels il ajouta des variantes et des embellissements, jusqu'au jour où il s'avéra que la question ne .pouvait . être résolue pour le moment. » 3 L'argument fondamental de Molotov était la nouvelle importance de l'URSS dans les affaires mondiales. Il dit à Byrnes : « L'Union soviétique doit occuper la place qu'elle . mérite ; elle doit par conséquent avoir des bases en Méditerranée pour sa flotte marchande. » 4 · 2. New York Times, 19 septembre 1945. Il est int~ressant à ce sujet de citer une déclaration parue quelque temps plus tard dans l'hebdomadaire anglais prosoviétique AngloSoviet News Bulletin : « La Tripolitaine et l'Érythrée sont des avant-postes des républiques méridionales de l'URSS au même titre que l'Egypte est un avant-poste de l'Inde » (Londres, 31 janvier 1946). 3. James F. Bymes: Speaking Frankly, Harper and Brothers, New York, 1947, p. 96. Traduction française : Cartes sur table, Paris, Éd. Morgan, 1948. 4. Ibid.
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